EinzweiDrei groupe de jeunes artistes vaudois pose avec radicalité et dans l’intelligence scénographique d’un espace de prison désaffectée la possibilité d’un art politique aujourd’hui. Sans donner de leçon ni s’exclure de l’hypothèse d’hypocrisie dominante, ils investissent les lieux carcéraux avec des pièces adaptées pour l’occasion ou directement créées sur place par des artistes de leur génération, suisses, allemands, norvégiens ou français.
Chaque intervenant occupe une cellule, la prison est investie de la cave au fort beau grenier à colombage par des les oeuvres d’une réelle diversité : sculptures, dessins, objets, photos et vidéo jouent dans leur majorité avec habileté de l’enfermement et de ses conséquences morales et physiques. Sur la vingtaine d’invités seuls six ou sept stagnent dans une illustration manichéenne du thème . Le plus souvent il s’agit de graphistes qui ont mal digéré les leçons du post pop engagé, mais la tenue de l’ensemble emporte l’adhésion avec finesse, y compris dans la provocation. La municipalité qui a mis à disposition le bâtiment leur apporte une aide via son service culturel qui prouve ainsi son ouverture et son engagement auprès d’une jeune génération fort tonique. Pour le reste ils ont trouvé des sponsors locaux pour la venue et la résidence des créateurs, dont le CEPV où deux des organisateurs sont étudiants de la Formation Supérieure Photo.Ce petit budget leur a permis d’ouvrir aussi un site www.einzweidrei.info/hypocrite. pour la mémoire festive de cette manifestation.
Si chaque cellule apparaît plus monacale que réellement coercitive, et plus à échelle individuelle que nos scandaleuses prisons modèles outrageusement surpeuplées les oeuvres réveillent cette mémoire douloureuse. Le quotidien du prisonnier convoque les corps anthropomorphiques de Fanny Meier pour une douche collective, les gamelles sont devenues par l’action du céramiste Arnaud Castioni des assiettes photosérigraphiées de vues d’africains affamés faisant face à l’horizon reproduit des tinettes. Les passe temps individuels suscitent l’inventivité des sculpteurs et installationnistes, avec Ve. Hikel proche du groupe Nur Schrec en géo trouvetout fabricant de machines infernales bricolées ;Stina du groupe Clown-A.R.T , collectionneuse de déchets d’emballages tente une sortie en forme de corne d’abondance vers la lumière de l’extérieur, tandis que la vidéo du même collectif allemand raconte l’épopée de leurs interventions costumées et farandolesques pour la défense de différentes luttes actuelles. Elles résonnent avec le dialogue iconographique entretenu par Magali Koenig avec le père Lénine. Dans la superbe exposition « Geschichten Geschichte » au Fotomuseum de Winterthur, www.fotomuseum.ch/,une déclinaison post historique semblable est opérée dans la série aux couleurs kitsch du russe Boris Mikailov.Si la photo est le fétiche intime qui conserve les liens humains le dessin offre une activité dont l’économie convient bien à l’étroitesse des murs. Les riverains du lac Léman ont été familiarisés depuis plusieurs années avec l’art engagé du dessin, de la caricature ou de la BD grâce aux affichages urbains annuels du festival PictoBello, www.pictobello.ch. Le géorgien Koka Ramishvili renouvelle l’art du crayonné vif en en démultipliant les effets d’évocation par un filmage vidéo qui se joue de la mémoire et de ses vacillements grâce à une série d’apparition-effacement d’une réelle puissance.
Einzweidrei a eu l’excellente idée de convier Alain Declerq à appliquer ses stratégies de hacker de nos idéologies policières à la dimension d’une cellule, il n’ a pas dégainé son pistolet anti-Concorde, ni rameuté ses éclairages d’émeute pour saluer les capitalistes d’un « welcome home boss » , il n’était armé que de feutres noirs, oubliés sur le carrelage cellulaire. Les bâtons de comptage des jours encore à tirer lui ont donné l’occasion d’un portrait composite d’une figure humaine , hommage aux prisonniers passés par ces lieux ou figure mythique du héros libertaire. Le fantasme domestique d’une vie imaginée mais impraticable donne l’occasion à l’excellente sculptrice suisse Anne Bruner de se rêver « Post Partum » dans le luxe en cuir clair pleine peau d’une chambre enfantine, où on n’oublie pas les patins. Les caves sont occupées par l’installation en lumière stroboscopique de Nicolas Christol opposant un christ au chef recouvert d’un sac comme un vulgaire otage tévéaudimaté tandis que les images des dernières exactions de l’impérialisme américain clignotent dans nos inconscients télémanipulés. Le même sait que déjà le grenier est investi par les casques icônes de la force militaro-policière organisé en « Triade ». Pour faire passer le temps ne reste que l’utopie d’une sexualité à rêver porteuse d’une puissance révolutionnaire. C’est à cette noble tâche que s’emploie le groupe norvégien « Fuck for Forest » dont les délires verbaux et les débordements jouissifs ont déjà fait la réputation dans les meilleurs manifestations culturelles du nord européen. Proches des préoccupations et des modes d’intervention de l’Atelier Van Leshout , www.ateliervanlieshout.com,ils mêlent en une application rhizomatique écologie et survivance sexuelle.
Dans l’attente d’une telle libération le moi se dilue , Mélanne Zumbrunnen, autre membre active de l’association, nous en propose la figure angoissante dans son indéfinition colorée, tandis que les éclats mémoriels dans leur cadre photo se disséminent aux pourtours de la cellule. Si l’esthétique de la photographie recense selon François Soulage « La perte et le reste » les céramiques aux formes proto – fécales de Patricia Glave s’organisent en tas tandis que circule à ses environs un texte affirmant l’hégémonie d’un corps nu, comme un roi, qui s’affirme pourtant en majesté.
Face aux grosses machines institutionnelles d’un art qui dresse le décor de nos renoncements et de nos veuleries sociétales , nous aimons nous sentir subtilement bousculés dans nos certitudes par cette accusation d’ « Hypocrite », une jeune scène internationale y reprend à son compte, sans outrance manichéenne et loin de la seule esthétique du « tableau politique » , les avancées d’un art concerné, avec une bonne santé mentale et plastique que nous craignions passée aux oubliettes depuis au moins deux décennies.