Invitée par la villa Pérochon (Centre d’Art Photographique Contemporain) La Maison François Méchain (lieu de résidences d’artistes en d’écriture en Charente-Maritime) a présenté le travail de Sandrine RODRIGUES à l’espace Grappelli à Niort pendant les Rencontres Internationales de la Jeune Photographie.Dans un commissariat de Nicole Vitré l’artiste présentait une œuvre qui se déclinait ainsi : une installation vidéo, des dessins et des images fixes extraites de la vidéo.

Troublantes images : Sandrine Rodrigues présente une œuvre au sein de laquelle s’articule une triple approche des arts visuels : photo, dessin et vidéo s’intriquent pour déstabiliser et enrichir notre regard. Une de ses principales préoccupations réside dans les conditions de réception des images par le spectateur.

Peinture impressionniste, silo à contempler
Installation vidéo en boucle, 0’43, 2020

Le titre de l’œuvre nous le dit sans ambages. Il nous conduit tout droit vers la complexité : celle de l’image, des conditions de sa restitution, de la perception proposée au spectateur, du regard qu’il s’attache à poser sur elle, du medium employé… tout se conjugue ici pour nous troubler et nous faire douter de ce que nous voyons. Confrontés à cette image, nous passons ainsi d’une certitude à une autre, d’une incertitude à une autre. Cette expérience déstabilisante ouvre en même temps sur une dimension poétique de la chose proposée à voir et sur l’autonomie de notre regard : à nous de décrypter…

Sandrine Rodrigues nous propose ici l’image d’un silo à grains, une de ces nouvelles cathédrales posées en général dans une campagne remembrée et passée à la moulinette d’une agriculture industrielle. Rien de véritablement pittoresque au sens étymologique du mot (digne d’être peint). La représentation en art au XXème siècle s’est largement libérée de cette approche classique du sujet en peinture : Claude Monet, avec ses meules de foin, a participé à l’apparition de ce nouveau regard et de ces nouvelles pratiques en art qu’on a nommés modernité ; son medium se revendiquait néanmoins clairement comme celui de la peinture.

Dans cette foulée esthétique, en photographie, Bernd et Hilla Becher ont en leur temps, porté leur attention sur ces bâtiments archétypaux de notre modernité que sont les châteaux d’eau, les hauts- fourneaux, les complexes industriels… un regard qui se voulait objectif, frontal, une sorte de taxonomie de ces formes emblématiques de l’époque qui a priori, ne relevaient pas du champ artistique.

L’œuvre proposée ici par Sandrine Rodrigues brouille toutes les pistes : peinture, vidéo et photographie se combinent pour proposer à un spectateur assigné à un regard lent et contemplatif, une expérience troublante, en quête de sens : la présence matérielle de l’image se révèle et se dérobe à la fois. Image fixe ? Image en mouvement ? Peinture ? Vidéo ? Photographie ? Le grain de la vidéo se dialogue avec celui de la photographie tandis qu’une matière picturale liée à la texture du support de projection (la paille) émerge en même temps dans notre vision. Des réminiscences d’histoire de la peinture se superposent aux techniques numériques contemporaines. Il nous faut du temps pour comprendre ce que nous voyons et les différentes pistes nous conduisent finalement sur le chemin de notre propre perception qui ne nous est pas donnée d’emblée mais reste à construire devant l’œuvre.

Enfin, dans le dispositif proposé par l’artiste, la projection sur un écran fait de bottes de paille clôt une sorte de tautologie vaguement ironique : le sujet de l’image -le silo- renvoie en quelque sorte à la fonction première de cet objet et à son matériau d’origine (le grain, les céréales) ce qui contribue à mettre notre regard en boucle, comme la vidéo de l’installation.

Silo 7H36.00 – Silo 7H36.40, diptyque photographique, impression Hahnemühle Photo Rag ultrasmooth 305 g, 22 x 41 cm chaque, 2022

Creusant la même veine liée à la perception du spectateur, l’artiste a extrait deux images de la vidéo, la première et la dernière de la captation, dont les titres affirment le rapport au temps qui passe. Imprimées sur papier, leur rendu oscille entre peinture et photographie : une matière quasi-picturale liée à la texture originelle du support de projection (un mur de bottes de paille) qui se conjugue à des techniques contemporaines de traitements d’image et d’impression.
Le résultat et le jeu visuel nés du mélange du grain de l’image et des pixels issus de la capture d’écran questionnent les certitudes de notre regard et nous invitent à une contemplation interrogative.

Silo#
Série de 8 dessins numériques imprimés sur du papier aquarelle velin, 2017.

Enfin, pour compléter le dispositif, un ensemble de dessins, présentés de manière classique, sous cadre.
Au départ il y a les dessins des bâtiments, réalisés d’après nature sur un carnet de croquis ; ils sont ensuite scannés et retravaillés avec un logiciel, ce qui induit une pixellisation accentuée des images et une modification des contrastes. Enfin, l’artiste les imprime sur un papier épais, grenu, semblable à ceux utilisés pour l’aquarelle, où l’on s’attendrait à une pratique et un rendu traditionnels, ancrés dans un savoir-faire. Le résultat donne une texture nouvelle à l’image finale présentée, proche de celle qu’on obtiendrait dans une représentation picturale traditionnelle.

Grain matériel du papier et pixel numérique dialoguent dans une restitution composite du motif initialement observé. On voit ici comment le va et vient entre image physique et image digitale nourrit la réflexion et le propos de Sandrine Rodrigues. Une fois encore il n’y a pas un seul medium à l’œuvre ni un seul système de présentation pour traduire l’interprétation graphique initiale, ce qui questionne et perturbe le regard que nous pouvons porter sur la perception de la réalité et de sa traduction plastique.
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