La presse quotidienne, celle qui noircit les doigts, dont le format généralement oblige des contorsions de toutes sortes pour en tourner les pages, et dont on avait prédit à hauts cris la disparition avec l’avènement d’Internet, réapparaît, cette fois-ci récurée, récupérée ou détournée par des artistes, et devient le point de départ de l’exposition qui se tient actuellement à la galerie JTM.
Le papier journal y est décortiqué et grignoté, par les découpages de dentellière de Georgia Russell, les gravures au laser de Gordon Cheung ou les attaques à l’acide de Stéphane Penchréac’h (ce qui ne réussit cependant pas à racheter son obsession lassante pour le porno-chiant). Dans Le Meilleur Monde d’Elvire Bonduelle, ce sont les différents jaunissements du papier qui nous font mentalement – et illusoirement – tenter de retracer une généalogie de la bonne nouvelle au sein du journal. Quant à Evariste Richer, il présente ici une œuvre mystérieuse, deux versions du Monde, l’un entièrement maculé par les presses d’imprimerie du quotidien, l’autre blanc et comme lavé. Mais apparaissent en filigrane bribes de textes et d’images, qui semblent avoir été lentement suçotés par le papier, et les journaux quasi-monochromes se révèlent alors d’inquiets détenteurs de messages disparus.
Les codes relatifs à ce type de supports sont désarticulés, la mise en page en premier lieu. Ainsi, Jean-François Dubreuil, dans des tableaux rappelant les œuvres méthodiques de François Morellet, réalise des compositions géométriques colorées d’apparence austère, mais qui se révèlent être un dépliement selon un protocole régulier des contenus de journaux. La publicité, les accroches et leurs développements y sont cartographiés strictement : au spectateur attentif de déceler les différences de traitement entre Libération, Var Matin ou encore, pour l’œuvre ici présentée, La Dépêche de Kabylie. De la même façon, Elvire Bonduelle recompose à sa manière la mise en page du Monde en un patchwork de bonnes nouvelles grappillées çà et là.
Les images issues de ces journaux ne sont pas en reste, avec notamment une photographie de la série Quotidien d’Edouard Levé, où les actions des figurants semblent bien indéchiffrables : échec électoral ou défaite à un quelconque match de football, scène de deuil peut-être. Dans tous les cas, une amère sensation d’éloignement. Ce décalage est également présent dans les décadrages de Taroop et Glabel. Drôlatiques plus que drôles, ces images et légendes extraites de presses locales révèlent des décalages flagrants : « Le monument aux morts fait peau neuve. » – le point faisant toute la différence –, sous la photographie atone d’un triste monument de village. Quant aux collages de Gerner (dont on préférera cependant les recouvrements et égratignements d’images qu’il produit d’habitude), ils font apparaître l’œil de Nicolas Sarkozy, paupière tombante, venant remplacer tel un engin de surveillance perfectionné d’innocentes têtes blondes venues assister à une fête pour Saint-Nicolas dans l’Est de la France, et photographiées par un journaliste local.
Enfin, certains artistes évoquent plus directement le texte : à côté des bien connues (et terriblement ennuyeuses, il faut bien le dire) photographies de Serralongue illustrant par le non-événement des post-faits divers, d’étonnants dessins de Suzanne Treister. Dans ceux-ci, hiérarchisés non de manière journalistique mais plutôt émotionnelle, les aléas du monde contemporain semblent se muer en d’étranges apocalypses. Olivier Leroi aura quant à lui pris le parti de naviguer à loisir entre ces différentes catégories, dénichant des formes inattendues au cœur de photographies de presse ou des mots dans des cotes boursières.
Nulle prétention à l’exhaustivité ou à la rétrospective dans cette exposition, mais une présentation d’œuvres réunies par une thématique simple mais tout à fait rafraîchissante. Au moment où il faudrait pondre des concepts opaques pour chaque exposition collective, la proposition d’Elvire Bonduelle et Marguerite Pilven nous fait sans aucun doute du bien.