Cédric Delsaux publie un nouvel ouvrage aux éditions Xavier Barral où il poursuit sa quête de la photographie comme matière à fiction. Beau livre à la couverture entoilée accueillant une figure au regard absent, Zone de repli est un grand projet qui tient de l’observation participante comme de l’hommage littéraire. Cédric Delsaux explore une faille, celle qui parcourt la vie de Jean-Claude Romand.

En 1993, l’homme a assassiné ses proches pour éviter que ses mensonges n’éclatent au grand jour. Cette faille est aussi celle qui sépare la réalité de la fiction. Romand le mythomane devient la matière réelle, d’une fiction photographique. Pendant dix-huit ans, Jean-Claude Romand a prétendu être médecin et exercer à l’OMS à Genève. Tous l’ont cru. Peut-être que l’on ne voit rien, et que l’on perçoit seulement ce que l’on sait déjà ? Delsaux photographie les paysages parcourus par Romand pendant ses journées oisives et s’attache à l’idée que chacun porte en lui les germes de la folie. Zone de repli articule habilement des textes de Delsaux livrant son processus créatif, des photographies de l’artiste arpentant le pays de Gex et des images d’archives issues de la presse donnant à lire le visage de Romand hypertrophié par un agrandissement inquiétant.

Le texte de Delsaux sobre et éclairant affirme que nous serions tous des demi-fous et c’est avec cet œil incertain de la réalité qui l’entoure que le photographe traverse le territoire de Romand en quête de sa présence. Les images délimitent un espace intérieur en même temps qu’elles témoignent objectivement de l’existence des lieux. Neige, brumes, et forêts, auréolent le voyage d’une dimension fantasmatique alors que les terres semblent lavées de toute présence humaine. Delsaux, seul face à l’énigme du mal, évoque la contamination possible, l’écho de la dérive de Romand dans sa propre existence.

Quel est le statut accordé à Romand par Delsaux ? Est-ce une muse, un fantôme ? Il semble que la vie de Romand ait atteint le statut de fiction, qu’elle devienne matière à rêver, à sonder sa propre existence. Romand a inspiré les artistes et notamment Emmanuel Carrère auteur de L’Adversaire et Nicole Garcia qui l’adapta au cinéma. Pourtant il semble que Delsaux pousse l’identification plus loin encore, en se glissant dans les pas de Romand, en foulant seul les terres qui l’ont portées, en donnant à voir ce qu’il a vu.