Revue à parution annuelle d’art et de littérature, Ingmar, dévoile son premier numéro intitulé « forme humaine ».

Des canards au bec fleuri porteurs de paroles que l’on ne comprend pas, des poissons à figure humaine semblables à des avions, des pinces de scorpions en guise de membres prothétiques pour un guerrier muni d’un pacemaker en forme d’horloge, des ours fumant la pipe au lieu de se combattre, les dessins de l’artiste inuit canadien Pudlo Pudlat foisonnent de figures anthropomorphes . Mais qu’est-ce que l’anthropomorphisme ? C’est ce que la revue Ingmar, pour son premier numéro baptisé « Forme humaine », tente d’éclairer à la lumière de l’art et de la littérature, croisant ainsi les voix de Camille Azaïs, Anne Bourse, Pamina de Coulon, Richard Fauguet, Dominique Gilliot, Arvo Léo, David Léon, Clare Noonan, Elodie Petit et Amelie Von Wulffen.

Soulignons également la présence, en guise d’épilogue, d’un article de Georges Bataille « Le Gros Orteil », publié en 1929 dans le sixième numéro de la fameuse revue Document. Selon sa profession de foi éditoriale Ingmar, est une revue pensée comme une exposition qui entend présenter la littérature comme un médium de l’art contemporain et par conséquent offrir un espace à des artistes écrivant. A ce titre, le très beau texte d’Elodie Petit, « Palmier les yeux noirs », fiction inspirée par l’histoire de Yoni Palmier, tueur de l’Essonne, est un bel instant dans le parcours éditorial.

L’anthropomorphisme, n’est-ce point ce geste de l’esprit qui consiste à prendre l’humain comme point de référence, comme objet à définir et explorer mais aussi comme une forme d’enfermement dans ce qui serait le pré carré de notre psyché aussi retorse soit-elle ? Bien sûr l’anthropomorphisme, comme tous les substantifs dotés de suffixes en « isme », n’a pas la cote dans les sciences sociales contemporaines. L’anthropocentrisme, à l’heure de l’anti-spécisme, (mouvement cherchant la revalorisation éthique du non-humain), peut faire figure de réaction. Qu’en est-il de notre devenir animal, ou plus simplement de notre capacité à nous extraire de notre égoïsme d’espèce ?

« Tout est comme nous » s’intitule ainsi le texte de Pamina de Coulon, passant notamment en revue « l’anthropoévidence », « l’animisme anthropocentré » ou le terme « désanthropocentrant » comme autant de jalons d’un récit singulier entre épopée autobiographique et considérations philosophiques. En cueillant des fruits sur un arbre, en croquant la pomme, ne vous êtes-vous jamais demandé si les aliments ont une âme ? Amelie von Wulffen dessine à l’aquarelle une saucisse pleurant dans les bras d’une carotte, tandis que des tomates pratiquent le BDSM avec des pommes de terre.

Ces drames humains et culinaires parviennent à se frayer une voix entre le grotesque et l’effroi, entre la naïveté de l’enfance et l’angoisse du cauchemar. Mettre en perspective art, littérature et anthropocentrisme c’est aussi une manière pour les membres d’Ingmar de s’engager en posant une volonté d’échapper à la perpétuation de la destruction écologique, comme des rapports de force au sein du continuum du vivant. Le texte de Camille Azais s’interroge, à partir d’une visite d’exposition d’art contemporain qui ne présentait que des fleurs, sur « la créativité trans-espèce ».

Pour son deuxième numéro la revue Ingmar aura pour thème, « Les Aveugles ».