Evènement nouvelles technologies de la rentrée et comme chaque année depuis dix ans le festival @rt Outsiders explore pour cette édition 2009 les (im)possibles habitats humains épuisés ou contemplés, pour une (dés)installation future.
La Maison Européenne de la Photographie organise du 9 septembre au 11 octobre, pour la dixième année consécutive, le festival @rt Outsiders qui s’intéresse depuis ses débuts à des artistes pluridisciplinaires, dont les productions conjuguent image et technologie numérique. Les œuvres présentées, quoiqu’ancrées dans l’histoire des arts visuels, obliquent toujours vers des terrains politiques, sociologiques voire philosophiques, en questionnant fondamentalement les notions qui les engendrent. Baptisée « (In)habitable ? », la thématique de l’édition de cette année, chapeautée par ses fondateurs Henri Chapier et Jean-Luc Soret, est liée comme de coutume à des préoccupations scientifiques et anthropologiques. Y sont interrogés les possibles et les impossibles de la vie humaine dans les lieux qui s’offrent ou se dérobent à ses desseins d’emménagement.
Quarante ans après l’alunissage de la mission Apollo 11, et autant d’années de spéculations fantastiques sur la possibilité de traverser et aménager planètes et satellites, à quel temps se conjuguent les questionnements philosophiques et les évasions poétiques autour de l’investissement humain d’un proche au-delà, échappatoire ultime d’une planète qu’une globale inconscience écologique étouffe ? Où est-il possible de vivre ? Où a-t-on le droit de vivre ? Que peut-on attendre de nos actuels lieux de vie ?
Dans sa « Leçon d’épistémologie fabulatoire », publiée dans le catalogue de l’exposition, le zoosystémicien Louis Bec introduit une notion nouvelle pour désigner les habitants de notre planète (plus particulièrement ceux présents dans la programmation de l’exposition) que caractérise une nécessité féroce de trouver de nouvelles façons d’habiter, et de nouveaux lieux (extrêmes) à investir : les habitailleurs, qui « tentent d’habiter ailleurs et deviennent les tailleurs de leurs nouvel habitat-habit ». Les habitailleurs en effet, sont les survivants d’une incessante série de désastres (dix-sept extinctions massives depuis le début de l’ère primaire) héritant aujourd’hui du défi d’habiter le monde du vivant sans aggraver son déséquilibre. Parmi les artistes invités, nombreux sont ceux qui ont fait le choix de mettre le spectateur, avatar des usagers du vivant, au coeur d’installations qui l’immergent dans des propositions réagissant directement à ce défi. Le corps humain constitue souvent le sujet central de ces propositions dont les perspectives oscillent entre politique et poétique. Si certains artistes interrogent fondamentalement la notion d’habitat (Ana Rewakowicz), la plupart des oeuvres annoncées s’attachent à interroger les espaces vides presque accessibles hantés par l’imaginaire collectif, notamment l’Antarctique (Catherine Rannou, Andrea Polli, Lucy & Jorge Orta) et l’espace (Bradley Pitts, Forrest Myers).
[image : http://www.art-outsiders.com/edition2009/artiste08.htm]
L’installation vidéo qui ouvre l’exposition est celle de l’artiste chinois Hu Jie Ming. Intitulée Altitude Zero, 2006, elle se compose de deux larges hublots derrière lesquels le spectateur peut observer de paisibles images de mer ; s’approchant pour en obtenir de meilleures vues, il déclenche l’apparition de déchets à la dérive, symptomatiques de la désinvolture avec laquelle chacun participe de l’actuelle et irréversible pollution océanique. Lucy + Jorge Orta proposent quant à eux une œuvre tripartite (vidéo, installation, performance) qui s’articule autour de l’écriture de l’Article 13.3, amendement complétant la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : « Tout être humain a le droit de se déplacer librement et de circuler au-delà des frontières vers le territoire de son choix. Aucun individu ne peut avoir un statut inférieur à celui du capital, des marchandises, des communications et de la pollution qui ignorent toutes frontières ». Le duo propose aux visiteurs l’acquisition du Passeport Universel Antarctique, qui permet d’afficher une identité universelle trouvant sa base géographique dans cette potentielle terre d’accueil. Lucy+Jorge Orta imaginent ainsi l’Antarctique comme le lieu possible de la création d’un monde pacifique et sans frontière, et y ont installé un village provisoire fait de tentes à la toile cousue de vêtements traditionnels de plusieurs origines. Une vidéo du village inhabité est présentée, ainsi qu’un prototype du parachute permettant d’y atterrir. Cette démarche utopiste évoque l’entreprise initiée par l’artiste et compositeur anglais Matthew Herbert au début des années 2000 : la création de Country X, un état utopique et virtuel permettant à ses membres d’acquérir une citoyenneté universelle, basée sur une communication pacifique outre-frontalière systématique et permanente.
[images : http://www.art-outsiders.com/edition2009/artiste10.htm]
Dans un registre plus sourdement romantique et pessimiste, évoquant de loin les obsessions d’Andrei Tarkovski (en particulier dans Stalker), on remarquera les travaux respectifs de Peter Cusack, et du duo Howard Boland & Laura Cinti. On pense à Gilles Deleuze qui, dans L’image Temps (1985), définissait le passage du « régime organique » (description qui suppose l’indépendance de son objet – issue, donc, du réel) au « régime cristallin » (description valant pour un objet – ainsi du rêve ou de l’utopie). Semblant presque gommer le réel, Peter Cusack, dans son installation sonore et visuelle « Sounds from dangerous places » (2006-2008) donne à entendre des enregistrements sonores réalisés dans la zone d’exclusion de Tchernobyl, marquants par une douceur bucolique et berçante, semblant évaporer l’histoire et l’espace et faisant presque douter de son passé funeste.
Les Anglais Boland et Cinti présentent l’installation la plus poétique de cette exposition, baptisée « The martian rose » (2007-2009) : issues du Mars Simulation Laboratory, quelques roses à l’allure pour le moins flapie suite à un séjour de quelques heures dans les conditions atmosphériques de la planète Mars. Délicieusement dépressive et désespérée, cette installation constitue peut-être la moins chimérique des projections proposées dans le cadre de cette exposition sur l’avenir de nos lieux de vie – celle d’un monde défunt car asphyxié, errant interminablement avec la tristesse et la beauté d’une fleur fanée.
[image : http://www.art-outsiders.com/edition2009/artiste01.htm]
La programmation du festival, outre les œuvres exposées, propose également de découvrir une série d’articles parus dans la revue Leonardo autour de l’Art des environnements extrêmes, et d’assister à une conférence sur les enjeux géopolitiques des ressources énergétiques de la zone arctique, le mecredi 16 septembre à 18h dans l’Auditorium de la MEP.