François Saint Pierre a été le fondateur de l’été photographique de Lectoure dès 1990 qu’il a dirigé jusqu’en 2014. Il est le commissaire de l’exposition « Inventer la couleur » présentée par le musée des Beaux Arts d’Agen en hommage à louis Ducos du Hauron dont on célèbre le centenaire de la mort. Pour notre génération active en photographie depuis le début des années 1980 la couleur nous a d’abord été rendue familière avec les pionniers américains.La relève européen est bien représentée dans cette sélection. Des approches plus expérimentales conplètent ce corpus très significatif.
Louis Ducos du Hauron (1837-1920) est une personnalité étonnante , notamment par ses multiples inventions pour lesquels il a déposé des brevets. Parmi les plus remarquables, citons l’image en relief dont il explique le procédé en 1893 dans son traité « l’art des anaglyphes ». Pour réaliser des panoramas il imagine corrections et déformations , grâce à l’utilisation de deux fentes , puis un miroir courbe pour la réalisation de vues à 360 degrés. Il réalise des accessoires aujourd’hui grand public comme une canne oeil de géant pour prendre des vues au dessus d’une foule. Mais son apport essentiel se situe dans le domaine de l’image avec en 1864 un « Appareil destiné а reproduire photographiquement une scène quelconque avec toutes les transformations qu’elle a subies pendant un temps déterminé ».
Son brevet majeur dès 1868 est titré : Les couleurs en Photographie, solution du problème. C’est ce premier procédé par trichromie de photographie en couleurs qu’il montre а la Société Française de Photographie en mai 1869. Et qu’il compète neuf ans plus tard par son Traité pratique de photographie des couleurs.
Si Ernst Haas (1921-1986) est autrichien c’est à partir de son installation aux Etats Unis en 1951 qu’il va se consacrer à la couleur, notamment par ses vues de New York qui flirtent avec l’abstraction. Il est donc assimilé comme pionnier aux côtés de ses confrères américains William Eggleston (né en 1939) que John Szarkowski baptisa de vrai inventeur de la photographie couleur et le regretté Saul Leiter (1923-2013). A la recherche d’instants et de scènes fugaces. Ses images sont remarquables par ses cadrages originaux qui ménagent des vides par des zones plus sombres dans ses images. Il joue de la mise au point pour créer des succession de plans y intégrant du flou ou des effets de transparence et de buée.
Dans cette première partie le contrepoint européen met en avant l’italien Luigi Ghirri (1943-1992) et notre compatriote John Batho ( né en 1939 ) qui retrouve ici sa juste place historique et contemporaine. Si ces deux noms sont incontestables une absence est vraiment regrettable celle de Paolo Gioli . (Il est oublié aussi dans l’exposition estivale sur la couleur du Musée d’Aurillac). Michèle Chomette avait présenté son travail au Musée Réattu d’Arles dans les années 1980, puis l’avait défendu dans sa galerie, mais jamais il n’a été reconnu pour son immense action dans notre pays, jamais aucun Photo poche ne lui a été consacré. Il a fallu attendre l’essai de Marc Lenot sur La photographie expérimentale pour qu’il soit rétabli dans la toute puissance de sa recherche.
Une série et un livre majeurs de Ghirri témoignent de l’indéfectible relation à la technologie il s’agit de Kodachrome de 1978. Nathalie Boulouch de l’Université Rennes 2 dans sa préface en rappelle les étapes historiques. On peut évoquer aussi d’autres techniques comme l’Autochrome des Frères Lumière en 1905, puis l’Agfacolor dans les années 30. Une autre section met en avant ces recherches techniques avec Denis Brihat et ses différents virages dont ceux à l’or, Paolo Roversi, avec les éclairages de ses modèles par des sources lumineuses colorées ou Bernard Plossu illustrant au mieux le caractère poétique des tirages Fresson et enfinPierre et Gilles et leur esthétique de colorisation kitsch.
L’expérimentation purement esthétique du médium réunit l’américaine Jan Groover, (née en 1948) dans son approche d’abstraction du réel au sein de ses images du quotidien réalisées aussi en studio, et son compatriote James Welling né en 1951. Cet artiste conceptuel s’est fait connaître pour ses photographies manipulées numériquement et dont les couleurs sont filtrées. Leubr sont associés Philippe Durand qui à paris de prises de vues dans le quotidien produit une image qui s’abstrait peu à peu par superposition des clichés colorés et Alix Delmas qui s’inspire des recherches de Ducos du Hauron pour créer des installations in situ dans une des chapelles du musée.
La matérialisation de la couleur est aussi l’oeuvre d’une génération plus jeune. L’exposition est l’occasion d’apprécier ainsi les oeuvres de Laure Tiberghien déjà repérée dans la grande manifestation récente sur l’abstraction. Julien Richaudeau utilise les outils du laboratoire pour créer des images qui inventent des mondes. Constance Nouvel réalise des sculptures qui fonctionnent comme d’imposants diaphragmes susceptibles de matérialiser l’apparition de la couleur. Vincent Ballard crée lui aussi de petites scènes qui réagissent comme des Théâtres où viennent jouer les éléments constitutifs de la matière couleur.
Un chapitre des plus intéressants montre l’usage de la couleur dans des pratiques dites concernées. Sammy Balogi la couple avec le noir et blanc de panoramiques d’archives pour relire l’histoire de son pays la République Démocratique du Congo. Une des révélations Alix Delmas utilise dans le paysage une couleur saturée qui semble révéler des pollutions écologiques. Alors que les talibans désapprouvent l’image , Thomas Dworzak a déniché dans un studio à Kandahar les portraits aux yeux maquillés de khôl de combattants talibans. Une toute récente série de John Batho met le négatif couleur au service de vues d’abris urbains de sans domicile fixe.