James HD Brown, Au delà de l’ovale

James HD Brown est un artiste américain, né en 1951 à Los Angeles. Deux séries d’œuvres sont exposées à la Galerie Karsten Greve jusqu’au 29 juillet 2017. Sous le titre Oval sont réunies des peintures récentes où domine la forme elliptique (c’est sur celles ci que portera ce texte) et des vases en porcelaine qui ont aussi retenu notre attention. Ceux-ci ont été réalisés à la Manufacture Nationale de Sèvres en 2007. L’artiste y a mené des recherches sur les couvertes colorées et les effets de matière obtenus par les cuissons dans des fours à bois. Décorés d’un réseau « cellulaire » en émail incolore sur une couverte colorée ces vases sont particulièrement séduisants.

Après un premier diplôme aux États Unis, James HD Brown a poursuivi des études aux Beaux Arts de Paris. Il séjourne de huit ans dans la capitale avant de retourner à New York où il a connu ses premiers succès dans les années 1980. Il s’installe ensuite avec sa famille au Mexique d’abord à Oaxaca puis en 2004 à Merida. Dès lors James Brown passe beaucoup de temps en Europe, exposant son travail en France, en Allemagne, en Italie et en Hollande. Il séjourne fréquemment à Paris où on a pu voir son travail à la galerie Lelong et chez Karsten Greve. Au fil des années son travail a évolué, abandonnant une peinture semi-figurative privilégiant la figure humaine avec un traitement proche des arts primitif et rupestre pour se diriger vers une certaine abstraction. La genèse des tableaux ne nécessite plus la recherche de l’inscription de l’énergie partiellement issue de forces inconscientes.

Le titre donné à cette exposition Oval renvoie à la figure dominante des peintures exposées. L’ovale indique soit le format des châssis eux mêmes, soit des formes ovoïdes inscrites sur des toiles rectangulaires. Depuis 2012 l’artiste consacre son travail à une série qu’il nomme My Other House. L’ensemble d’œuvres présenté dans l’exposition constitue une importante partie de cette « autre maison ». Celle-ci n’existe pas dans la réalité, elle est néanmoins présente dans la genèse des peintures. Le communiqué de presse signale qu’« il s’agit d’un espace où l’on peut créer nos propres règles, un lieu où le temps est suspendu et les objets peuvent se transformer et devenir autre chose. »
Les ovales de James HD Brown sont comme des oculus ouverts vers des mondes habités par des ponctuations pouvant rappeler des étoiles en mouvement. On est bien là face à des mondes fictifs générés par la main et l’esprit d’un créateur.

À la différence de ce que propose James Turell dans le Roden Carter où le spectateur, assis par terre, pointe son regard vers le haut, assiste par des fenêtres zénithales au passage du temps réel quotidien ou exceptionnel (solstices, éclipses, etc.), ici les peintures ouvrent sur des abstractions poétiques produites de main d’homme. La série Planet Paintings de James HD Brown est, depuis le début, une recherche picturale où les espaces extérieurs variés rencontrent des espaces intérieurs propre à l’artiste.
Si le processus de création est abstrait en ce qu’il ne part d’aucune réalité, il retrouve au final, pour les regardeurs et pour l’artiste comme premier spectateur de ses créations, des images de ce qui se cache derrière le monde. L’approche de la création par l’artiste est tout à la fois plastique, scientifique et spirituelle ; il tente une mise en relation avec des ultra mondes interstellaires.

James HD Brown élabore ses peintures à partir de ponctuations de tailles variées disposées aléatoirement sur un fond pictural, une étendue colorée et/ou « matièrée » sur lequel elles viennent se spatialiser. On peut voir là une volonté de recourir, dans la peinture, à certains principes décoratifs ornementaux comme celui connu sous le nom de « semis ». Cela peut aussi être regardé comme la reprise amplifiée du vocabulaire formel énoncé au début du siècle par les pionniers de l’abstraction (Kandinsky, Malevitch, etc.). Le point se présentait alors comme le principe d’intervention minimale sur un plan.

Avec l’artiste américain le point retrouve une ouverture vers un imaginaire cosmique. D’autres artistes, tel Yayoi Kusama (Dots Obsession, New Century, 2000), développent également le point, et la distribution en semis, comme élément central de leur vocabulaire. Le semis ne fait pas style ; nous pouvons seulement constater qu’apparaît, dans des œuvres de divers artistes, ce que Kubler a appelé une « séquence formelle ». Celle-ci est devenue la figure majeure de la peinture de James HD Brown depuis de nombreuses années. En élaborant ses peintures à partir de ponctuations il joue sur un mélange d’intentionnalité et d’aléatoire. L’action est manuelle mais le contrôle du visuel évite la densification à l’excès en un lieu et le manque par ailleurs. Le semis se veut d’abord une forme issue de l’action générative, productrice du tableau, mais il se propose aussi comme une manière de regarder, de parcourir l’œuvre. Le principe itératif du semis est qu’il est constitué de peu d’éléments qui se modifient sans cesse sous le regard. Celui-ci est constamment renouvelé par les choix de parcours personnels des différents regardeurs entre les ponctuations. L’unité totale se conçoit, autant qu’elle ne se perçoit, comme la somme des parcours multiples. Tous les points d’un semis ne sont pas équivalents. Aucun n’est exclu et chacun sera examiné à point nommé. L’ensemble des points, leur espacement, favorise une exploration temporelle, sans point de départ et d’arrivée obligatoires.

James HD Brown a dans des peintures antérieures tracé dans certaines parties de la composition des lignes fines reliant les ponctuations (Los Planetas, 2013). Dans la série d’œuvres présentées dans l’actuelle exposition il n’en est rien. D’autres défis sont présents, à commencer par la relation à établir entre la délimitation ovale et la distribution des unités ponctuelles plus ou moins conséquentes. Les tailles différentes influent sur leur mise en place dans l’espace, l’autre facteur essentiel étant bien sûr la couleur. L’intensité, la luminosité et les effets de matières influencent perception et interprétation. Le titre de l’exposition ne fait plus allusion à des voûtes célestes comme ce fut le cas en 2009 et 2011 avec Firmament et en 2013 avec Los Planetas. En insistant dans l’intitulé global sur la figure marquant les limites externes, l’artiste n’inscrit plus ses ponctuations de tailles différentes dans la figuration d’une portion de ciel nocturne mais insiste sur sa volonté de marquage d’une étendue de forme particulière (ovale) par une inscription minimale de signes. Très vite s’est posé au peintre le problème de la relation avec les limites du châssis lorsque celui-ci est ovale ou lorsque des oves sont tracées préalablement sur le support quadrangulaire. James Brown choisit souvent de faire sortir ces ponctuations des limites du subjectile comme dans Who Occupies this House III 2016. Ce choix du hors cadre est récurent chez les artistes contemporains pour dire combien le monde qu’ils se permettent de figurer n’est pas une totalité mais seulement un fragment d’un univers plus grand.

D’œuvre en œuvre l’artiste se propose de relever d’autres défis, comme en inscrivant non pas un ovale mais deux sur la même toile rectangulaire dans Orb Thing III, 2013-2015 et en répétant la même disposition des ponctuations en semis à l’intérieur de deux figures aux limites ovoïdes. Ce travail de répétition en double n’est pas sans se rapprocher de celui que poursuit Bernard Piffaretti depuis des années. La reprise proche du même se retrouve aussi sur deux toiles séparées accrochées côte à côte, Large Oval I et Large Oval II, 2013-2015. D’une création à l’autre les conditions de la duplication plastique diffèrent. Cette recherche de la répétition du même est un défi à la séquence formelle des semis qui se veulent usuellement dispersés aléatoirement. Les reprises des positionnements, des couleurs et des intensités des marques de Orb Thing III comme des deux Large Oval sont presque parfaites. Dans ce cas c’est bien sûr le presque qui importe, c’est lui qui inscrit dans la création la charge humaine sensible et qui incite à regarder longuement les œuvres.

La mise en relation des deux oves de Double Twin Oval, 2012-2016 avec les limites du châssis rectangulaire est particulièrement habile et inventive. On note des reprises intégratives autour des oves et des échappées hors des figures majeures de petites formes, circulaires ou oblongues, certaines s’éloignant jusqu’aux les limites du subjectile rectangulaire. La disposition aléatoire des ponctuations se satisfait de la mise en dialogue avec d’autres figures plastiques. James HD Brown a déjà antérieurement confronté ses ponctuations en semis avec des formes rectangulaires préalablement dispersées sur un fond (Pico Boulevard, 2016), cette fois le défi est l’opposition avec une délimitation de contour historiquement marquée, l’ovale, figure parente de la mandorle. Dans les représentations religieuses cette forme en amande est traditionnellement utilisée pour symboliser un passage entre l’intérieur et l’extérieur ou entre deux mondes, l’un terrestre et l’autre céleste.

Toutes les œuvres de James HD Brown sont des invitations au passage. Devant chaque toile de l’exposition le spectateur est invité à se concentrer pour aller au-delà de la surface oblongue du tableau. Le parcours de son regard dans les profondeurs de l’espace pictural le conduit à rêver dans un univers stellaire lui-même propre à donner la possibilité d’accès à une profondeur métaphysique. Peu d’artistes offrent autant de possible au delà.