La dynamique artistique d’un pays se définit à sa capacité à donner de leur vivant à ses artistes les plus radicaux les moyens de montrer leur œuvre. Tout l’été Anvers a accueilli ainsi quatre expositions de l’enfant du pays, Jan Fabre.

Si la Bibliothèque de la ville présente les documents de travail du chorégraphe qui a secoué l’an dernier le Festival d’Avignon, les trois autres lieux abordent son œuvre plastique. Les bibliophiles ont pu apprécier l’accrochage de divers multiples dans un petit restaurant sur une place populaire proche de l’atelier de l’artiste. Paul Huvenne, directeur du Musée royal, lui en a confié plusieurs salles monumentales, où enfant Jan Fabre venait admirer les maîtres primitifs. Pour compléter le dispositif le Muhka expose quant à lui dessins, films 8 mm, montages, photos et chansons qui retracent les débuts de son parcours.

Au musée, contrairement à tant de pratiques post modernes il ne s’agit pas pour lui d’apporter un regard critique sur des pratiques anciennes, ni de se lancer dans une approche se référant à l’histoire du médium. Jan Fabre tente au contraire d’affronter artistes et œuvres du passé sur leur propre terrain. Son parti-pris anhistorique cherche les constantes humaines atemporelles, projet un peu semblable à celui qui anime l’œuvre de Dieter Appelt. Si ce dernier utilise essentiellement la photographie dont il complète occasionnellement l’action par des sculptures l’artiste flamand a recours à une multitude de mediums,dessins au sang, photo, cinéma et vidéo, sculpture, installations, performances et chorégraphie.

Dans le Musée chaque salle qu’il a choisi pour la présence d’une œuvre ancienne se voit investie avec une juste adéquation dans l’espace comme dans le temps de ses pièces contemporaines qu’il fait entrer en réel dialogue. Quand il incarne cinématographiquement « Lancelot », combattant jusqu’à l’épuisement un ennemi invisible c’est pour se donner en spectacle à l’ « Eve » de Lucas Chranach. Le « paysage de Sanguis / Mantis », morcellement animal d’armures sert d’horizon aux diverses figures féminines peintes, rassemblées dans l’évocation d’un Salon façon XIXième siècle.

La dramaturgie de l’exposition se construit autour de la figure de l’artiste, qui se donne en tant que chorégraphe le rôle de premier danseur, pour lequel il ne s’économise pas. Son double grandeur nature vient se heurter à un portrait de Rogier Van des Veyden, les pieds sont nus , du sang tâche le parquet du musée. Deux autoportraits, réalisés à la pointe Bic font face à la célèbre Madone de Jean Fouquet. Une vidéo le montre en pleine action en Sisyphe aux côtés des deux philosophes, Dietmar Kemper et Peter Sloterdijk, qui partage avec l’artiste une interrogation sur la domestication.

Sur son site www.troubleyn.beune des catégories qui définit son action l’évoque « Forgeron de théâtre ».. De nombreux liens sont lisibles dans cette ré-appropriation du Musée. Ainsi les chiens empaillés et les mottes de beurre fraîches sensées les rappeler à la vie étaient les partenaires de sa danseuse favorite Erna Omarsdottir en 2000 pour son spectacle « My movements are alone like street dogs ». Pour cette reprise la solitude est celle d’un enfant dont le portrait peint surplombe dans la pénombre les tristes reliefs du « carnaval des chiens morts ». Une immense cage de verre jonchée de pièces d’armures occupe le centre de la salle dédiée aux grandes toiles de Rubens, dont « l’adoration des anges ». Huit moniteurs vidéo relatent entre duel et duo, la performance « Virgin/warrior » réalisée au Palais de Tokyo en décembre 2004 avec Marina Abramovic.

D’autres animaux, sept superbes hiboux, ses « Messagers de la mort, décapités », sont exposés au tribunal de « La Chute des anges rebelles « de Floris de Vriendt, évoquant l’atmosphère des « Anges de la mort » chorégraphie de 2003, tandis que sept scalps dans des pressoirs à olive sont surveillés par la « Marie Madeleine » Quinten Massijs.. L’allégorie de ce rapprochement ne peut manquer d’évoquer l’atmosphère du solo féminin repris cette année aux Abbesses « Quando l’uomo principale è una donna ».

Les autres « danseurs » sont tous des figures masculines, gisant « Sarcofago conditus » fait de punaises métalliques dorées devant un polyptique d’un Saint Georges terrassant le dragon d’un Maître anonyme de Catalogne, pendu fait des mêmes matériaux devant le couple de « Scaldis à Anvers » d’Abraham Janssens et autres figures d’allégories d’envol, mortuaires ou angéliques.

L’exposition du MUKHA constitue une sorte de casting pour le rôle de Jan Fabre, le plus intéressant étant ces petits films où il se confronte à différents rôles comme à différents partenaires masculins et féminins, annonce des spectacles à venir.La visite du musée Royale se constitue comme la scénographie d’un spectacle dont nous sommes non seulement les visiteurs mais les complices sur la scène de l’histoire de l’art dans sa continuité.