Entre le 4 mars et le 7 mai, quatre expositions sont consacrées à l’artiste Jean-Louis Delbès à Marseille sous le titre général : Une autre histoire.
Le Frac Provence-Alpes-Côte d ‘Azur présente des œuvres en volumes de petite taille réalisées entre 2003 et 2004, dans les dernières années de la vie de l’artiste. La Friche La Belle de Mai propose un accrochage de différentes toiles des années 80 qui donnent un version personnelle d’un pop art qui célèbre la ville de Marseille entre les graffitis, les docks du port et les surcharges publicitaires. Nous reviendrons ci-dessous sur ces deux accrochages.
Dans la galerie des Grands Bains Douches de la Plaine, Art-cade, ont été réunies différentes créations des années 90. L’artiste conforte l’ancrage pictural de son travail tout en affirmant ses doutes sur la voie à choisir. Très honnête avec lui-même et avec le spectateur il rend lisible, par des peintures de poteaux fléchés, la filiation artistique qu’il voudrait assumer. Autant dans la décennie précédente, il suivait une esthétique personnelle tout en diversifiant les plasticités, autant dans ces œuvres plus tardives chaque série de toiles se présente comme une nouvelle aventure. Les influences assumées l’emportent sur la recherche d’une cohérence tant conceptuelle que plastique. Le 4e événement marseillais se tiendra à la Galerie du Tableau, du 11 au 22 avril 2017 et sera consacré aux multiples dessins réalisés par Jean-Louis Delbès durant sa carrière.
On a compris à la lecture de cette présentation générale combien notre satisfaction de visiteurs est majoritairement allée vers l’exposition de La Friche Belle-de-Mai. Le vaste espace de la salle du 4e étage a permis aux commissaires de présenter un nombre important de toiles de grandes dimensions donnant à voir la diversité des approches de l’artiste. Dès que l’on s’éloigne on peut embrasser plusieurs œuvres sur des plans différents et à des distances variées. Malgré la diversité stylistique c’est l’unité qui apparaît montrant un engagement personnel de l’artiste dans chaque création. Toutes ces peintures sont complexes, même les plus simples s’avèrent subtiles et savantes si le regard s’y attarde un peu. Trois éléments semblent récurrents : le signe, la matière, les textes peints. Les croix, triangles, spirales et flèches reviennent souvent mais toujours dans des configurations différentes.
Dans toutes les toiles de cette période les matières du fond comme des motifs sont très travaillées. L’artiste gratte la peinture déposée sur la toile, reprend picturalement celle-ci et regratte encore jusqu’à obtenir une surface aussi riche qu’un mur, un bois ou une pièce métallique qui a subi les effets du temps. Delbès ne cherche pas à copier la nature, en travaillant sa peinture il la réinvente. Mais il ne se contente pas de ces effets de matières, il intervient avec des signes ou des écritures qui détourne de la séduction que ceux-ci pouvaient opérer. Ces interventions dans le final de l’œuvre jouent sur deux plans, plastique et conceptuel. Les mots ou les signes qui arrivent au premier plan installent une profondeur fictive ; la peinture gagne en effet d’espace mais dans le même temps elle acquiert une complexité idéelle. C’est entre autre le cas pour la toile Lumière parfaite 1988. Le titre inscrit en oblique dans la partie basse de l’œuvre intrigue car on ne sait si il se rapporte à la création elle-même, à une considération météorologique entendue ou vient marquer la distance ironique qu’entretient l’artiste par rapport à son travail. Des considérations semblables, tant plastiques que conceptuelles, pourraient s’appliquer à d’autres œuvres comme Fable, 1989. L’arrêt devant le tableau conduit à s’interroger sur la fine écriture majuscule au milieu de la toile : QUATRE TABLEAUX. DONT UN INACHEVE. L’affirmation conduit le regardeur à ne pas rester passif, le pousse à la réflexion. Il lui faut interpréter donc s’engager personnellement avec autant de doutes que ceux ressentis par l’artiste tout au long de la genèse du tableau. Chaque création pose des problèmes tout au long de sa conception. « La question n’est pas de savoir quoi peindre, mais comment. » écrivait Delbès, dans un texte de 2000 et il poursuivait plus loin « Une distance sépare toujours l’initial de l’idée et son résultat. »
Devant la création évoquée plus haut comme pour d’autres peintures, il y a lieu de remarquer la grande qualité du dessin des lettres. Jean-Louis Delbès trace et assemble des lettres avec beaucoup de maîtrise que ce soit, comme ici, pour des caractères typographiques ou lorsqu’il se livre à une calligraphie gestuelle personnelle comme dans Océan Motion, 1985. Une telle maitrise dans toutes les formes d’écriture se rencontre rarement dans des productions d’artistes de générations récentes.
Nous avons dit plus haut combien cet artiste rivalise avec la nature et le passage du temps. La démonstration de telle qualité se remarque dans une œuvre ayant pour titre Zézé, 1986, assemblant une plaque de tôle métallique découpée avec une grande toile au format irrégulier (shaped canvas). Il pousse le vice ou l’astuce jusqu’à intervenir avec de la peinture sur la tôle ondulée pour rajouter un effet rouille d’un jaune plus clair s’accordant ainsi mieux avec la toile.
Jean-Louis Delbès était vraiment au mieux de sa forme d’artiste durant les années 80. Il développait un travail à la fois singulier, multiple et toujours abouti. Diverses expositions personnelles et collectives lui ont donné alors un début de reconnaissance par le milieu artistique. Comme cela se passe chez de nombreux artistes au moment où l’on sait trop bien faire son travail artistique, il y a une nécessité, pour continuer, de remettre en cause les acquis. Comme nous l’avons signalé l’exposition de Art-cade donne à voir diverses tentatives de renouvellement, dont on peut considérer, au regard de cette rétrospective, qu’elles furent plus ou moins abouties.
L’exposition du Frac est consacrée à une autre série d’expérimentations : il s’agit de créations volumiques de dimensions modestes : entre 25 et 80 cm dans leur plus grande mesure. Avec des matériaux divers, bois, cartons, filets, morceaux de plastique, verre, récupérés sur des emballages publicitaires, l’artiste s’avère un astucieux bricoleur. Il construit des petites tours maintenues par des éléments de liaison provisoires. On trouve aussi bien des agrafes, de l’adhésif, des pinces à dessin, des trombones qui tous soulignent l’apparence temporaire de ces créations. Si elles sont « sans titre », il serait très facile de les nommer tellement la présence textuelle est importante. On constate toujours beaucoup d’ironie dans la réunion des textes de publicité avec quelques éléments iconiques (images découpées). La déambulation dans l’ensemble des 18 pièces réunies au Plateau expérimental du Frac PACA se déroule avec surprise et plaisir, un léger sourire aux lèvres,. Le dispositif scénique, des sellettes séparées installant entre 1 et 3 petites pièces au niveau du regard, permet de circuler librement et de contourner les créations. Chaque sculpture propose au regard un montage inventif d’assemblages très variés. C’est sans doute proche du Pop Art mais un Pop Art à la Delbès.
Le mérite de l’évènement marseillais Jean-Louis Delbès – une autre histoire est de montrer l’engagement absolu de cet artiste dans une production plastique singulière, multiple et surtout susceptible de bifurcations surprenantes. On regrette de ne pouvoir connaitre ce qu’aurait pu devenir la création de l’artiste s’il n’avait pas choisi de mettre fin à ses jours à cinquante ans. L’art a des exigences que la raison ne connait pas.