Jean Luc Godard nous offre au Centre Georges Pompidou une double exposition d’art contemporain en même temps qu’il nous livre un nouveau chapitre de ses histoires du cinéma, une relecture de celles-ci et une leçon de scénographie, tout en pointant un impossible très actuel.
Cet impossible n’est pas comme l’avertissement liminaire pourrait le laisser penser celui de l’exposition rêvée et non réalisée « Collages de France, archéologie du cinéma d’après JLG ». Dans son habileté habituelle il a certes poussé dans sa logique institutionnelle le Musée pour en démont-r-er les limites, notamment économiques. Il a réalisé sa nouvelle exposition sur les ruines maquettées de la première. Ce qu’il met en jeu dans cette démonstration merveilleusement mise en œuvre a été formulé par Filliou dans sa célèbre interrogation « bien fait, pas fait, mal fait ». Sa réponse consiste bien sûr à ne pas trancher.
Rien ne répond là aux normes, y compris nouvelles, d’une muséographie bien comprise et nombre de nos scénographes et responsables muséaux, ainsi que les installateurs de tous poils peuvent venir y prendre leçons.
L’accueil bricolé, avec ses textes caviardés met en surplomb de tout visiteur une image du président Bush en officiant de son habituel prêche idéologique. Un premier impossible pourrait être dénoncé ici : comment une exposition dans une institution peut elle répondre à l’influence hégémonique américaine dans le monde.
Le parcours chronologiquement balisé en trois salles nous fait cheminer d’avant-hier à hier, pour aborder aujourd’hui. Les ponts matériels, ceux notamment d’un chemin de fer jouet existent entre les deux premières périodes, mais sont coupés avec le présent : « le passé n’est plus transmissible, il ne peut être que cité. » Ce second impossible serait donc celui de la transmission, ou plutôt de la transmissivité.
En réponse ce qui fait art ce sont les livres, leurs citations (Georges Bataille, Henri Bergson,André Malraux, Hannah Arendt…), quelques rares tableaux, leur reproduction, un corpus de films dont ceux de l’auteur et de sa compagne, Anne Marie Miéville , ou du moins leurs titres et leurs extraits séquencés et renommés dans leur fonction illustrative, (voir tableau légendé) et les collages de ces diverses sources. Le tout entrant en dialogue avec design et technologie.
La première salle ne convoque que des matériaux d’une industrie propre au XIX° siècle et au début du XX°, bois, grille métallique de chantier, et les instruments qui leur correspondent, chemin de fer, machine à écrire, , banc de repro photographique, projecteur cinéma et sa pellicule celluloïd engluée. Le seul rappel d’un passé plus ancien est un dessin de Goya refilmé qui représente un vieillard avec la légende « J’apprends encore ». Un lit métallique , symbole de la vie de bohême de l’artiste, est recouvert de draps sales et cache des gravats, à ses côtés est posée une reproduction du Matisse « La blouse Roumaine » dont l’original est accroché au mur, avec un Hans Hartung et « Les musiciens, souvenir de Bechet »de Nicolas de Staël. Les maquettes de « Collages de France » trônent au centre de la salle. Au fond de la salle derrière le petit train on peut voir la version complète du film « Vrai faux passeport » réalisé par Godard pour l’occasion, film qui a sans doute suscité le nouveau titre, donnant l’avantage au voyage sur l’archéologie.
La seconde salle est celle de tous les mythes et allégories qui ont nourri les générations d’après la seconde guerre mondiale. Godard y a installé , y compris sous forme de mini-écrans intégrés dans les maquettes, tous les films qui font ses Histoires du Cinéma, en y
Incluant quelques uns des siens. On y retrouve divers héros du « Messie » de Rossellini au « Don Quichotte » d’Orson Welles sans oublier « Les hommes le dimanche » de Robert Siodmak ou « Le Sang d’un poète » de Cocteau. Un ensemble de plantes décoratives en pot en occupe le centre, hébergeant maquette et moniteurs, on y retrouve les grands maîtres ayant inspiré la Nouvelle Vague
La troisième salle éclate dans l’espace un appartement pour classe moyenne avec le design populaire qui l’accompagne. C’est le lieu des chaînes de télé commerciales (TF1 et Eurosport) des films de guerre qui occupent la tête du lit, tandis que la pornographie homo et hétéro s’étale sur la table de cuisine. Dans le salon un vieux coffre cache une petite toile représentant une nature morte et une vieille boîte de peinture.Un pèse-lettre sur une table en verre accueille trois missives non postées portant les mentions « Accord de Stockholm » , « Plus jamais ça » et « Les lendemains qui chantent » avouant un renoncement idéologique.Face à l’inscription « Aujourd’hui Etre » un écran plasma diffuse le « Barrocco » de Téchiné, Adjani et Depardieu en représentants du couple modèle, devant le moniteur se trouve un bureau où d’autres livres sont cloués dont « Situations » de Sartre et « Le temps et l’Autre » d’Emmanuel Levinas . Derrière un canapé est accroché un panneau de diverses croix qui interroge sur l’importance des religions et croyances sociales. Visibles derrière les vitres du centre quelques tentes de SDF, distribuées par Médecins du Monde pour attirer l’attention sur la situation sociale, ajoutent un effet de réel bien dans le ton.
Maquettes de l’exposition non réalisée, livres cloués, écrans plasma entassés et mis au rencart, tout concourt à la définition d’un impossible de l’expression artistique aujourd’hui réduite à une archéologie de la vision et de l’histoire.L’exposition se construit malgré tout, comme un défi à ces impossibles, d’où son aspect chantier post-catastrophe, son utopie, essentielle et pleine d’espoir.