Jean-Marc Cerino la mise en crise du visible

Jean-Marc Cerino, peintre français né en 1965 vit et travaille à Saint Etienne. Il appartient au comité de rédaction de la revue De(s)générations et enseigne à l’Ecole Régionale des Beaux Arts de Nîmes. La galerie parisienne Sator qui le représente conjointement avec la galerie internationale Ceysson Et Bénétière présente « Le vestige d’un vol » jusqu’au 22 décembre 2018.

Comme Gerhard Richter il questionne l’esthétique photographique par sa technique picturale. Il pourrait certainement s’approprier sa réponse à Rolf Schön en 1972 : « j’ai été surpris par la photographie. Il n’y avait pas de style, pas de composition, pas de jugement. Pour la première fois, il n’y avait rien à faire : c’était de la pure image. C’est pourquoi je voulais l’avoir, la montrer – ne pas l’utiliser comme moyen de peindre mais utiliser la peinture comme moyen de photographier. » Grâce au mélange de peinture sur et sous verre Cerino réactive des documents d’archives. On se souvient de sa première période des grandes toiles blanches à la cire où il représentait aussi bien des philosophes contemporains ,notamment ceux avec qui il a collaboré comme Jean Luc Nancy ou Jean Christoph Bailly mais aussi des prisonniers, des sdf ou des internés d’hôpitaux psychiatriques. Il y défendait ainsi selon ses propos « un cum, un être au monde en commun ».

Il s’est souvent attaché à peindre la violence subie par les corps sous la pression de l’histoire. Dès la fin des années 1990 face au constat de la disparition des survivants des camps de concentration il réunit un corpus de témoignages et de dessins qu’il réinterprète en choisissant des figures dépouillés qu’il trace à l’encre de chine blanche au centre de grandes feuilles de papier japon nacré. Face à l’œuvre nous ne distinguons qu’à peine ces corps martyrs, un pas de côté est nécessaire pour leur redonner une visibilité. Cette série A des amis qui nous ont manqué touche par son extrême respect de ces vies sacrifiées. A l’extérieur de la galerie Sator qui l’expose actuellement une plaque rappelle « Ici Henri Chevessier imprimait des journaux de la Résistance, déporté à Buchenwald , Mort pour que vive la France. »

Il poursuit ici sa quête pour tenir à distance la représentation d’où dans ses précédentes expositions des titres qui évoquent cette retenue Au bord du jour ou Dans les lanières des seuils. Les sources d’images anonymes sont transformées en autant d’instants de pose qui redonnent une aura à la photographie magnifiée par l’effet pictural.

Les sujets dans leur variété qu’énoncent les légendes montrent une volonté de rester dans le commun sans vouloir constituer un corpus unifié qui se voudrait démonstratif. Quels liens établir entre ces vues si diverses Ministère des affaires étrangères, crues de la Seine,1910, Sortie de l’usine Kem One de Saint-Fons, cette Maison en ruine et les Manifestations des ouvriers des docks, La Valette, Malte, 1959. Pas de chronologie, de hiérarchie, ni même de volonté de faire story. Ces grandes peintures réalisées en techniques mixtes : « huile sur verre, impression et peinture synthétique à la bombe sous verre » entrent en dialogue avec des œuvres très sombres où des figurines historiques se débattent dans le noir de la matière. Ce dialogue visuel nous oblige à accommoder, à exercer corporellement notre liberté critique de regardeur.