Jean Margat (1924-2025) collectionneur oulipien de Jocondes customisées

Un personnage passionnant vient de nous quitter peu après son centième anniversaire. J’ai rencontré Jean Margat grâce à sa fille notre collègue critique d’art et amie Claire. Elle a suscité ma curiosité en évoquant son impressionnante collection de Jocondes. Hydrogéologue et cartographe renommé, il a exercé aussi ses talents en tant que dessinateur. Mais sa singularité s’est manifestée dans sa passion de collectionneur.

C’est un geste iconoclaste qui inaugure cet ensemble dans les années 1950 : dès 1947 il a l’idée d’attaquer physiquement des reproductions de cartes postales de la Joconde. Pour théoriser ces « jocondoclasties » il produit avec son ami Jean Suyeux un numéro spécial de la revue BIZARRE que Jean-Jacques Pauvert publie en 1959. Il y revendique la double influence de Marcel Duchamp avec son insolent légendage L.H.O.O.Q. et l’OuLiPo via les Exercices de style de Raymond Queneau

L’intérêt de cette collection est de s’attacher à toutes les iconographies dérivées de l’image de la Joconde. Les formes se déclinent en œuvres d’art, objets décoratifs et publicitaires, dessins et caricatures, cartes postales, images de marque de produits de consommation du quotidien, graphismes de différentes époques… Répertoriée et classée pour sa conservation, il en a fait don au Louvre. Cette donation qui a été acceptée par les conservateurs en 2014 comporte 100 000 pièces.

L’esprit de démultiplication artistique d’un même objet issu des théories de l’Oulipo et du Collège de pataphysique, a suscité une autre forme de collection celle de CARELMAN et son Catalogue d’objets introuvables. Inspiré du catalogue Manufrance il regroupait des objets qu’il qualifie lui-même de « poétiques, hilarants, absurdes, philosophiques, ingénieux, morbides, puérils, profonds, dérisoires ». Tous ces qualificatifs pourraient s’appliquer aux Jocondes de Margat. 

Bien entendu cet ensemble a une valeur sociologique et même ethnologique. En cela on peut le comparer à deux collections d’artistes exposées ensemble en 2022 à La Vieille Charité sous le titre Objets migrateurs — Trésors sous influences. Les entrelacs de l’objet de Kader Attia, réunit des artefacts non occidentaux, en particulier d’objets africains. L’installation de Théo Mercier scénographiait une centaine de masques africains cassés ou partiellement détériorés. 

Au moment où la remise en question de la muséographie du Louvre s’intéresse à une autre accessibilité de la Joconde, la collection de Jean Margat dans son aspect critique, sociologique constitue une remédiation essentielle, il serait intéressant que les responsables du plus grand Musée français donnent accès au plus large public à cette si singulière collection dont l’humour n’est pas la moindre qualité.