Pour sa quatrième année au Cent Quatre Jeune Création poursuit sa défense exigeante de l’art en train de s’inventer. L’association continue ses liens professionnels avec un jury prestigieux chargé de récompenser une œuvre, doublé cette année d’un prix résidence en lien à la Fondation américaine Josef et Anni Albers. La Galerie du tableau, implantée dans la capitale phocéenne préfigure la collaboration avec Marseille Provence 2013. Des œuvres de petits formats de différents exposants y sont proposés à la vente. Un hommage à Paul Rebeyrolle complète cette programmation avec en supplément des performances et des films courts.
Quatre œuvres qui peuvent retenir l’attention recoupent deux champs d’investigation proches. Du côté de l’intérêt pour une certaine iconographie scientifique on peut apprécier l’esthétique nostalgique des films noirs et d’une certaine bd américaine des années 40 et 50 que Gabriel Léger monte non sans humour. Différents documents cependant mettent en place une approche distanciée d’une société de contrôle. Des vinyls 33 et 45 tours recouverts de bitume mettent la musique au silence, tandis que ces disques s’inscrivent dans un musée d’une société où le bricolage ne remet plus rien à flots dans un univers angoissant.
Le canadien Gabriel Jones propose des cartes caviardées de lieux de conflit, Disputed area, cette découpe méticuleuse porte aussi le fer de l’anonymat dans ces documents dont la topographie se trouve ainsi perturbée. Ses courtes vidéos montrent des lieux d’expérimentation scientifique, de phénomènes physiques exceptionnels qu’il prétend contaminés par des « inserts pornographiques subliminaux » de ce fait notre attention se trouve doublée vis à vis de ces séquences où une transformation qualitative est souvent exaltée par la lumière.
Un deuxième champ d’exploration concerne le corps comme support à différentes prothèses. Annick Tal procède par moulage en plâtre, ou par différents thermoformages en plexiglass. Sa série de Parures affectives valorisent différentes parties du corps qui marquent la relation à l’autre, comme cette pièce Ta main sur l’épaule. Ses modèles comme ses inspirations viennent tout autant du body art à la Lygia Clark que d’une certaine danse contemporaine telle que pratiquée par Alain Buffard.
Jonathan Sitthiphonh utilise de préférence des matériaux de récupération acier et bois à partir desquels il construit des machines plutôt lourdes, dont il s’équipe pour suggérer les potentiels imaginaires, malgré leurs fonctions relativement limitées. Plus sculptures que réelles prothèses elles constituent un environnement naturel prolongeant idéalement les possibles humains.
Plus singulier le grand prix a été remis à juste titre à l’artiste originaire de Corée du Sud Hayoun Kwon qui a produit son film 3D Manque de preuves au Studio National des Arts Contemporains du Fresnoy où elle a poursuivi ses études. Elle inventorie différents récits oraux et dessinés d’un jeune nigérien en fuite de son pays suite à la mort de son frère jumeau tué pour des croyances tribales. La finesse du trait n’a d’équivalent que l’intelligence de la construction d’une fiction assez complexe. L’aspect irréprochable du montage très fluide nous amène à un plan dessiné des lieux du crime qui rappelle la façon troublante dont Till Roeskens raconte le drame palestinien dans ses video mapping. Le héros de ce récit n’apparaît au tout dernier plan que comme une ombre évanescente. Quand la technologie se met au service de l’émotion contenue d’un art à vocation politique on touche au plus sensible, à l’universel.