Dans le titre du livre de Reiner Riedler à paraître et de l’exposition du Mois Européen de la Photographie à Paris, à la Heart Galerie, « Fake holydays », l’adjectif factice est plus essentiel que la question de la vacance. Si tout fonctionne dans cet univers sous le signe du trop, le grand manque reste celui de l’authentique. En cela cette série constitue un aboutissement de toute la démarche de cet auteur autrichien âgé de quarante ans.
Il n’est pas si fréquent que les photographes qui ne se consacrent pas entièrement à leur création trouvent aussi dans les commandes des grands genres des pratiques appliquées matière à poursuivre et illustrer leur thématique. Deux de ses principaux corpus « corporate », ces images d’entreprise, nous donnent accès à des univers dont il sait montrer l’irréalité. Ainsi les tunneliers autrichiens dont il suit le travail souterrain interviennent dans des espaces, des atmosphères et des lumières d ‘une grande artificialité. Le monde des sciences et technologies, par son caractère expérimental, peu connu du grand public, offre les mêmes qualités d’apparente fausseté, qu’il s’agisse de laboratoire de sommeil, de technologie de pointe comme chez Siemens ou encore de centres d’expérimentation spatiale. Certaines de ces images peuvent faire penser à l’esprit des lieux parascientifiques et de communication sujet de prédilection de Lynne Cohenn, sans en avoir tout à fait la froideur, puisque Reiner Riedler, lui, y fait intervenir aussi l’élément humain.
Un autre travail alimentaire, celui des portraits, distancie ses modèles dans le recours assez systématique au diptyque. De plus, à l’intérieur de chaque image, la duplicité du personnage est elle même renforcée par la tension entre le portraituré, son corps et les motifs d’architecture ou d’espace où il s’inscrit. Les portraits couleurs plutôt collectifs des nudistes de l’île Danube à Vienne présentent aussi ce caractère étrange et décalé sans oser prétendre à l’authenticité et à la charge humaine des mêmes sujets photographiés autrefois par Diane Arbus. Enfin la série consacrée aux « Hijras » indiens sous le titre « 3° genre » montrent toute l’ambiguïté sexuelle et identitaire de ces hermaphrodites.
La cohérence de cet univers qui en fait sa force se manifeste de façon plus évidente encore dans les précédentes séries de l’auteur. Ainsi, dans « Ukraine » (1999-2003), il s’attache à différentes situations qui, bien que saisies dans des conditions documentaires, laissent transparaître leur potentialité narrative ou fictionnelle. Les écoles de cirque et leurs entraînements dans des zones urbaines très indéfinies, ces non-lieux chers à Marc Augé, fournissent avec « Russian Circus » autant de situations improbables. La forte présence animale autant que les costumes faisant référence à des mythologies enfantines repensées par les major companies mettent en lumière leur kitsch, dans ces autres clichés que constituent la banlieue généralisée.
Une autre forme de mauvais goût socialisé se trouve ritualisée par les lieux fréquentés par les couples échangistes des « Swingers clubs ». L’apparat nécessaire à la mise en scène de ces ébats collectifs se trouve complété par le ridicule des masques et costumes portés pour ces échanges. Le travail saturé de la couleur y renforce encore le goût pour les tonalités chaudes et charnelles sensées contribuer à l’érotisation des lieux.
La thématique de la nouvelle série peut sembler proche de celle exploitée par Martin Parr mais le traitement en est différent. Si le reporter de Magnum s’attache à la question de la globalisation des lieux touristiques internationaux, il en fait une sorte recensement qui s’appuie principalement sur les stéréotypes des comportements collectifs. Reiner Riedler, lui, n’a pas vocation démonstrative qui s’appuirait sur une multiplicité de lieux. Quand des personnages sont présents ils sont le plus souvent solitaires ou en tous cas peu nombreux et leurs agissements sont plutôt singularisés y compris dans leur aspect décalé.
Les trois principaux types de sites qu’il explore sont des parcs de loisirs façon Dysneyland, des lieux de sport habituellement naturels reproduits en intérieur, des fac-similés de lieux touristiques mondialement connus et délocalisés, tels les canaux de Venise en Floride ou le Kremlin en Turquie. En cela le mauvais goût des milliardaires des émirats arabes avec sa capitale Dubaï constitue une apogée mais l’Allemagne ou l’Autriche n’échappent pas à l’œil critique du photographe.
Aucun de ses protagonistes ne semble être simplement lui-même, chacun se trouve engagé dans un de ces possibles jeux de rôle grandeur nature qu’offre la société mondialisée du spectacle. Quant aux photos, si elles sont légendées, c’est pour éviter la confusion avec l’original qu’elles singent. Cette légende institue une sorte d’attestation du réel frelaté, simulé, ceci est une copie certifiée, le réel de ces lieux a disparu, perdu dans la profusion des simulacres.