L’artiste chinois Liang Kegang a réalisé tout récemment une commande spécifique pour un collectionneur suisse. Et l’une de ses œuvres, un Bouddha réalisé selon la même technique et selon les mêmes principes que cette commande, a été présentée au Canada et récemment à l’Asian Contemporary Art Fair (ACAF) à New York.
Le nouveau travail de Liang Kegang est une série de trente sculptures en forme de théières. Ces dernières sont façonnées d’autant de variétés de thés chinois. Le thé est l’un des premiers symboles qui vient à l’esprit lorsque l’on évoque la Chine. Le grand nombre d’espèces de thé est pourtant souvent oublié. Avec cette série, Liang Kegang réinjecte de la multiplicité dans cette symbolique monolithique qu’est devenu pour nous le thé chinois. Combinaison de feuilles de thé, de conservateurs et d’un liant, les théières elles-mêmes sont des sculptures au medium singulier. A chaque théière correspond une sorte de thé et une forme particulière de théière. Elles incarnent donc les différentes zones théicoles de Chine. Chaque sculpture est présentée dans une boîte adaptée à sa taille et recouverte d’une soierie chinoise traditionnelle.
Cette création représente pour l’artiste une manière symbolique de cartographier le territoire. Elle illustre en effet la diversité de la Chine, de ses traditions et de ses coutumes locales en rapport avec le thé. Ce projet met en lumière les parfums de thé variés, les techniques locales de production et les rituels du thé qui correspondent aux différentes régions chinoises. L’objet thé est observé sous toutes ses facettes, dans toutes ses potentialités.
L’objectif de l’artiste est de briser les barrières entre le récipient et le contenu. Les feuilles de thé qui auparavant étaient contenues dans la théière en deviennent le matériau. Liang Kegang souligne ainsi la fragilité et le caractère temporel de l’œuvre d’art. Le seul fait de verser de l’eau bouillante sur la théière de thé entrainerait le retour instantané à sa nature de contenu.
En Chine, le thé est à la fois un élément de la vie courante et un rituel sacré. Liang Kegang y ajoute encore une dimension en déplaçant le thé dans un contexte artistique. Sa démarche est pleine d’humour. C’est une invitation pour l’observateur à renouveler son regard sur des objets du quotidien mis dans des contextes improbables. L’artiste chinois se situe dans la même veine que Marcel Duchamp lorsqu’il réalisa sa « Fontaine » en 1917. En déplaçant l’urinoir dans un espace artistique, Duchamp a fait de cet objet ordinaire une œuvre d’art. Ce décalage est à l’origine de l’œuvre. Mais à la différence de l’urinoir, les théières sont le produit d’un long processus de sculpture. Elles ne sont pas des « readymade ». Et c’est ainsi que Liang Kegang cumule des méthodes de création traditionnelle avec l’idée révolutionnaire que l’art n’est qu’une question de contextualisation.
Dernièrement, l’artiste a inventé de nouveaux jeux artistiques autour du thé en sculptant un Boddhisattva. Le thé « Guanyin », qui est la célèbre déesse salvatrice bouddhique, est l’espèce de thé utilisée dans ce projet. Le nom même du matériau de la sculpture, le thé « Guanyin », revêt une dimension performative en lui donnant sa forme. Clin d’œil aux bienfaits médicaux du thé, ce Bouddha de la miséricorde est présenté sous un aspect inédit et salvateur, délivrant l’observateur de la routine quotidienne !
Novembre 2008