Marc Lenot est connu par tous les amateurs d’art grâce à son blog du Monde Lunettes Rouges, en complément de ses points de vue le plus souvent aussi motivés que radicaux, il a mené depuis plusieurs années une thèse à l’université Paris I Sorbonne sous la direction de Michel Poivert, les éditions arlésiennes Photosynthèses publient l’essai qui en a résulté « Jouer contre les appareils » sous titré « De la photographie expérimentale ». Là où beaucoup de critiques ont parlé d’artistes utilisant la photo ou du terme vague de photographie plasticienne, l’auteur s’attache à préciser différents protocoles de création de l’image qui détournent l’usage des appareils ou se passent d’eux.
Le sérieux de son approche lui permet de compléter les auteurs déjà référencés à juste titre dans l’histoire du médium ou l’histoire générale de l’art en y intégrant de nombreux autres créateurs internationaux dont les recherches constituent de véritables découvertes ( à l’exception cependant, comme il le mentionne en préface, des japonais : ce qui pourrait constituer un tome 2 ?)
L’ouvrage commence par un rappel des premières recherches sur la nature de la photographie, sont évoqués à juste titre Jan Dibbets, John Hilliard, et bien entendu Ugo Mulas pour ses Vérifications, c’est aussi l’occasion de rétablir à sa juste valeur l’allemand Tim Rautert et ses pratiques analytiques de l’image. Une oeuvre aussi célèbre qu’Authorization de Michael Snow et sa mise en abyme sont relativisées par l’antériorité de Neuf photographies Polaroïd d’un miroir de William Anastasi qui fonctionne sur la même structure.
La recherche générale sur la représentation met sur le même plan des théoriciens comme Walter Benjamin, Roland Barthes qui est rapproché de l’américain Jim Elkins , à découvrir, et des artistes critiques comme Gottfried Jäger ou Franco Vaccari. Dans des disciplines proches les études de Henri van Lier belge, Marshall Mac Luhan, canadien, ou du philosophe allemand Siegfried Zielinsky font l’objet d’une analyse comparative.
Si l’approche globale est fort méthodique elle s’appuie sur les procédés et protocoles de créations qu’elle recense ce qui a l’intérêt de rendre les choses plus claires pour le plus large public. En revanche les auteurs les plus créatifs tels les italiens Nino Migliori et surtout Paolo Gioli sont évoqués à plusieurs reprises au détriment de la logique globale de leur œuvre (seulement sensible à travers des renvois).
La remise en question des règles de réalisation de l’image amènent des auteurs à rechercher un rendu minimal aux limites du blanc – Rossella Bellusci, Hiroshi Sugimoto ou Silvio Wolff – ou à utiliser d’autres formes d’appareil comme SMITH avec la thermographie, ou les déformations du photo-finish des stades Patrick Bailly-Maitre-Grand ou Marteen Vansolvem.
Beaucoup d’auteurs s’attaquent à la surface du support, ce qui est facilité par la composition en couches du polaroïd, (Lucas Samaras, Ellen Carrey, Driss Aroussi)mais ce qui peut s’obtenir aussi par des interventions chimiques (Nino Migliori , Mathew Brand, Marco Breuer), d’autres créateurs vont choisir des supports différents (Paolo Gioli, Indira Tatiana Cruz ou Heather Ackroyd &Dan Harvey).
Marc Lenot ne manque pas de rappeler les nombreux inventeurs de caméras bricolées, à commencer par le Tchèque Miroslav Tichy dont il est le spécialiste. La réappropriation d ‘éléments du quotidien transformés en camera obscura à la façon de Mr Pipin (exposition Aberration optique à voir au Centre Georges Pompidou jusqu’au 11 septembre) ou à celle des architectures de Gabor Osz ou de Vera Lutter. Le livre nous donne aussi la possibilité de découvrir les réalisations en ce domaine du philosophe et plasticien israelien Aïm Deüelle Lüski.
Le chapitre central L’apparatus, le fonctionnaire et le bouffon nous entraîne sur les pas du philosophe d’origine allemande Vilém Flusser (1920-1991). On y rappelle que l’apparatus est la somme de programmes qui déterminent les photographies et dont l’opérateur est le simple fonctionnaire. Dans le prolongement de cette pensée l’auteur propose une attitude ou plutôt une méthode critique : « La critique devrait assumer une posture idéologique et introduire un doute méthodologique sur la photographie en tant que médium, ainsi que sur ses conditions de production et de distribution. »
Conscient de la toute puissance de l’apparatus des artistes décident de se passer complètement de l’appareil. Certains produisent de toutes sortes de façon des photogrammes ( Floris Neusüss, Christopher Bucklow, Adam Fuss ou Henri Foucault). D’autres mettent à l’œuvre leur propre corps (Morgane Adawi, Paolo Gioli encore et Lindsay Seers) jusqu’à un transsexuel FtM qui utilise son vagin avant l’opération comme camera obscura.
Le concept de photographie expérimentale contemporaine a le mérite de regrouper sous un seul terme des recherches connues comme néo-pictorialistes, post-photographiques, liées à la foto povera ou à la slow photography. Il désigne un courant très actif depuis plusieurs décennies, dans cette période historique qui marque le déclin des pratiques analogiques.