Journal de l’œil (les globes oculaires)

L’hôtel Fontfreyde à Clermont-Ferrand accueille jusqu’au 18 mars 2023 une exposition consacrée à la photographe française Anne-Lise Broyer. Autour du principal travail exposé, Journal de l’œil, gravitent deux autres séries : Le langage des fleurs et Du monde vers le monde (escale à Valparaiso) en collaboration avec René Tanguy.

Anne-Lise Broyer déploie une œuvre, depuis vingt ans, qui noue la littérature et la photographie. Il n’est pas question bien entendu de retranscrire telle quelle ses expériences littéraires en photographie, ce qui n’aurait aucun sens et peut-être pas grand intérêt. Mais, son travail prend source dans de nombreux auteurs français qui inspirent son regard, sa psyché.

Journal de l’œil (Les globes oculaires) nait dans les pas de Georges Bataille, le titre faisant référence à son livre Histoire de l’œil. Au rez-de-chaussée de l’hôtel Fontfreyde, ainsi qu’aux premier et second étage, Anne-Lise Broyer nous convie à un parcours inquiet et sensible. Une tête de vache coupée côtoie un vieux canapé rouge. Plus loin c’est une chouette blanche qui paraît attendre la venue d’un visiteur, à moins qu’elle ne soit un oracle ou une déesse incarnée. Une nuque d’homme, des visages qui s’effacent, des paysages, des instants minuscules et fragiles, bien souvent empreints de beauté et d’une sourde angoisse.

Une simple indication au crayon à papier donne le lieu où a été prise la photographie. La Marsa, Saint-Flour, Barcelone, rien ne les relie géographiquement pourtant tout fait sens dans leurs cohabitations. Journal de l’œil est un voyage étrange dans ce que l’œil voit mais aussi dans ce qu’il perçoit rejoignant ainsi le travail de Bataille. Tout fait sens autour d’un détour où la mort, la vie, l’Homme et l’animal s’imbriquent, se mêlent et se démêlent. A l’issu de la déambulation, le spectateur ne saurait dire si ce qu’il a vu est vrai, réel, ou fruit de son imagination. Parce que la réalité, pourtant très concrète de certaines images, se heurte de façon subtile à la possibilité et au choix d’interpréter. Serait-ce une forme de journal intime photographique ? Peut-être, mais de ces journaux où l’on ne se livre qu’avec parcimonie et surtout en laissant le sens à celui qui le lit.

Au deuxième étage Anne-Lise Broyer nous offre aussi un travail intitulé Le langage des fleurs. Celui-ci représente des natures mortes de bouquets presque fanés réhaussées à la mine graphite. Les fleurs ici ne sont plus des hommages à la Beauté comme trop souvent on nous les vend. Elles renvoient à la finitude, à cette chute inexorable vers le pourrissement alors même que l’acmé est atteinte. Il n’y a pas de Beauté qui ne se fane semble nous dire la photographe et de celle-ci il convient de s’éloigner pour ne garder que ce qui reste après elle. Le mythe est brisé parce qu’il doit l’être. On se rapproche des vanités dans ce qui est un moment qui interroge et questionne nos avis et convictions sur le Beau. Parce que oui, un bouquet de fleurs fanées est aussi un moment d’émerveillement visuel.

Enfin, au dernier étage, Anne-Lise Broyer a collaboré avec René Tanguy pour un voyage à Valparaiso. Du Monde vers le Monde reprend la mythologie inhérente à cette ville qu’a notamment développé Sergio Larrain. Ici, les marins attendent endormi ou n’existent plus que par une photographie un peu passée. Les chiens errent dans les rues, des cormorans étirent leurs cous immenses. Le monde est au bord du monde, c’est un Valparaiso de fantasmes, de visions au sens défini par Rimbaud. C’est un Chili comme on aime le voir, le rêver. On se perd en contemplation dans ces images. On reste à quai avec ces hommes qui attendent un départ hypothétique. Du Monde vers le Monde est de ces photographies qu’on aimerait pouvoir contempler encore et encore tant elles convoquent le désir d’ailleurs.