Julie Fischer, « Ventre gris »,

« Ventre gris », le titre de l’exposition de Julie Fischer, s’ouvre comme une porte ou un orifice qui nous mène aux entrailles de la bête. On y découvre un univers organique, minéral et glacial dont les paysages escarpés sont les tombeaux des animaux qui ont osé s’y aventurer. Julie Fischer ne cherche pas à composer avec la réalité, elle ne l’arrange pas, elle ne l’apaise pas et pourtant son regard sans concession sur cette terre hostile et ses cadavres incite à la contemplation de la beauté d’un univers aux accents mystiques.

La photographie de l’agneau d’Ipiutaq au Groenland, replié sur lui-même en position fœtale, appelle la figure iconographique religieuse et expiatoire de l’Agnus Dei. Comment ne pas penser à l’œuvre éponyme du peintre espagnol Francisco de Zurbaran présentant un agneau à la fourrure blanche immaculée sur un fond noir, pattes liées, offert au sacrifice, symbole du Christ rédempteur ?

Ce n’est pas tant le choc d’une similitude formelle frappante qui interpelle dans ces deux œuvres que leur souci, à des siècles d’intervalle, d’élever la réalité à un régime visuel supérieur faisant autant appel à nos sens qu’à notre esprit. Julie Fischer, comme Francisco Zurbaran en son époque, s’attarde sur la fourrure dont la précision donne à voir et à toucher simultanément.

De cette sensualité et de cette promiscuité organique naît une construction visuelle qui tire le spectateur vers une certaine forme de spiritualité. Cette abstraction du monde se déploie et s’affirme, tour à tour, dans d’autres images telles que Le lambeau ou encore Ronde balle n°1 et n°2. La présentation sous forme de série du lambeau, construit une suite des mouvements infinitésimaux de l’élément que l’on devine piégé par la glace mais dont la partie volatile accuse les effets de l’air.

Trace, preuve du temps et de ses effets, le lambeau n’en est pas moins une forme répétée dont la vision décontextualisée trouble la perception du spectateur. Ronde balle n°1 et n°2 défient le regard du spectateur. Dans Ronde balle n°1, les traces et les stries qui composent un kaléidoscope monochrome invitent à contempler des formes que l’on se sent impuissant à identifier. Cependant cette impuissance a quelque chose de grisant car elle libère le spectateur de ses préjugés visuels et perceptifs.
Le trouble atteint son paroxysme dans Ronde balle n°2, on croit voir une aile blanche se déployer mais la légèreté est appesantie par la matière, la poussière noire accuse les stries, l’aile est statufiée, minéralisée.

L’espace autour du spectateur est suspendu un instant pour se prolonger et se matérialiser dans les photographies de Julie Fischer véritables lieux d’une expérience méditative et sensorielle.