« Juste un mot. La révolution du sensible »,

Avec « Juste un mot. La révolution du sensible » sous titré « Relations entre l’art et la société au 21e siècle » Nicolas Roméas propose un ensemble d’articles qui constituent un essai de poétique critique publié par les éditions Parole illustré par un ensemble de photographies d’Olivier Perrot. L’auteur ancien journaliste et producteur à France Culture s’est fait connaitre surtout comme animateur de la revue culturelle Cassandre/Horschamp de 1995 à 2015.

Ce programme qui s’énonce comme un clin d’oeil à Jacques Rancière se veut écrit dans ce que Mallarmé évoquait comme les mots de la tribu : « On cherche une langue commune, mais ça prend du temps, trop de temps. » avec ce but plus ambitieux qu’il n’y parait « Nommer l’outil ultime du changement de regard. »

En regrettant de n’avoir qu’une pratique d’écriture l’auteur porte un grand intérêt à l’art en général, « Si je savais peindre ou jouer du saxophone » titre-t-il un de ses textes. A plusieurs reprises il envisage les conditions possibles de l’existence sociale de l’art :« Il n’y a pas d’art dans une société qui n’a pas le désir d’être changée par l’art. » Il en tire les conséquences pour de nouvelles exigences de création : « Il faut donc créer d’autres langages, aptes à relier des plans, très différents en apparence, entre nos esprits et nos perceptions. ».
A l’appui de sa démonstration il convoque les théories de penseurs tels que Boris Cyrulnyk, Pierre Rabbi,François Roustang ou Bernard Stiegler, Mais il a recours aussi au soutien de poètes comme Sony Labou Tansi, Gherasim Luca ou Edouard Glissant à qui il emprunte cette citation : » « On ne transformera pas le monde si on ne transforme pas nos imaginaires ».

En recherche d’un peuple l’auteur consacre deux chapitres à une apologie des gilets jaunes qu’il idéalise, sans en voir certaines composantes complotistes ou d’extrême droite et en les confondant avec Nuits Debout ou les Femen. Il n’empêche que l’on ne peut que souscrire à sa volonté de défendre l’exigence d’un art profondément radical : « Le geste de l’art réel (celui qui est réellement partagé) est le plus grand adversaire des pouvoirs. » Il s’appuie de nouveau sur l’exemplarité d’Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau dans des textes écrits à l’occasion des émeutes en Guadeloupe et en Martinique en 2009 dont le Manifeste pour pour les “produits” de haute nécessité et L’intraitable beauté du monde.

Un avant dernier chapitre rend hommage à différents acteurs culturels qu’il a coyoyé dans ses activités et dont beaucoup restent inconnus du grand public. C’est aussi l’occasion pour l’auteur de saluer des rencontres avec des artistes aussi différents que le performer Pippo Delbono, le jazzman Bernard Lubat, le plasticien suisse Thomas Hirschhorn, le jardinier Gilles Clément. la contrebassiste Joëlle Léandre ou le cinéaste Peter Watkins, réalisateur de La Commune.

Beaucoup de ces rencontres artistiques sont liées à la création en 1995 de la revue Cassandre/Horschamp, qu’ils envisageaient « comme une agora de papier et une vraie utopie en actes ». L’ambition va même jusqu’à vouloir produire une nouvelle approche critique « qui ne se contente pas de juger l’« objet », mais appréhende le geste de l’art en prenant en compte la relation à l’histoire, aux populations et aux lieux. » C’est aussi dans ce cadre éditorial que Nicolas Roméas a collaboré avec Olivier Perrot. Celui-ci s’était fait connaître dès 1983 dans l’exposition Dix jeunes dix questions à la photographie  d’Alain Fleig. Reconnu pour sa pratique du photogramme il poursuit sa recherche autour de la représentation du corps , sur des théâtres d’une violence intérieure la fragmentation du corps, sa mise à nu le montre irradié, traversé, transparent.

Alors que « Les rushes de la mémoire attendent (encore) leur table de montage. » le pari vital d’une telle oeuvre comme de celles des autres artistes que le critique espère de ses voeux , à l’opposé du transhuanisme, suppose un art profondément rénové. « Une pratique vivante de l’art ne peut avoir lieu que dans une société qui accepte d’être travaillée par elle, de l’intérieur, dans la relation à l’autre qu’elle permet. »