Karine Maussière Eaux et Montagnes

Photographe, Karine Maussière pratique désormais le fusain en parallèle de ses clichés à développement instantané. Face à la Mer Méditerranée, elle s’imprègne du mouvement des vagues, son corps ne fait plus qu’un avec leurs rides horizontales. Un surgissement et une quête de la répétition qui à à voir avec la logique de la marche dont Karine est une grande adepte… « La marche induit un processus de répétition dans une succession de déplacements, de glissements comme motifs plastiques toujours en mouvement. » déclare-t-elle.

Le mouvement est bien à l’œuvre aussi dans ses séquences panoramiques réalisées au Polaroid, se déclinant de manière plus ou moins linéaire, lignes parfaites, ou au contraire brisées, déployées parfois en éventail, comme autant de subtiles variations, de modulations formelles sur une ligne de partition offerte par le mur d’exposition.

Là aussi, l’artiste n’enregistre pas le paysage, mais va le chercher au plus profond d’elle-même. Ce sont des territoires à la fois mentaux et corporels qu’elle élabore – il faut ici, pour bien comprendre ce travail, dépasser la traditionnelle dichotomie occidentale de la séparation du corps et de l’esprit, et préférer aux croyances judéo-chrétiennes les philosophies extrêmes-orientales. D’ailleurs, qu’il s’agisse des fusains ou des photographies, ces images entretiennent de profondes affinités avec la pratique de la calligraphie. Les crêtes sombres des vagues comme celles des rochers tendent vers l’abstraction, le dépouillement formel, le minimalisme radical. Qu’il s’agisse des dessins ou des Polaroids, il est à chaque fois question de surgissement spontané. De révéler le mouvement qui fait trace.

Certains Polaroids sont agrandis en très grand format et imprimés sur un papier Japon qui renforce l’aspect pictural des images. Une manière de brouiller les pistes, de réduire la distance entre le geste du dessinateur et l’acte technologique de l’appareil-photo : un parti pris qui situe l’artiste dans la droite lignée de polaroidistes tels que, notamment, Knut Wolfgang Maron et Corinne Mercadier actifs dès les années 1980, et dans la tradition d’une certaine photographie dite « plasticienne » (CF. Dominique Baqué, La Photographie plasticienne, l’extrême contemporain, Éditions du Regard, 2004).

Les éléments primaires fondamentaux, l’eau, l’air, le feu et la terre, jouent un rôle important, ceux-là mêmes qui sont si chers à Gaston Bachelard qui écrit : « Nous voulons consacrer nos efforts à déterminer la beauté intime des matières : leur masse d’attraits cachés, tout cet espace affectif concentré à l’intérieur des choses. » ( La Terre et les rêveries de la volonté, Corti, 1948).

La « rêverie de la volonté », cette attention en apparence flottante, légère, aux éléments, n’est pas incompatible avec une forme de concentration extrême, comme en attestent avec une rare maîtrise et grande beauté les derniers travaux de Karine Maussière.