Katia Bourdarel. L’éternité d’un instant

Katia Bourdarel compose une promenade visuelle, allant de jardins baignés de lumière du jour vers des atmosphères nocturnes. Ses peintures nous invitent à rencontrer des statues envahies par la végétation et à percevoir des métamorphoses dans l’obscurité.

Accueillis par deux grandes peintures intitulées Rebelle, nous songeons aux sculptures marquées par le temps que l’on peut rencontrer dans les jardins historiques, la pierre incarnant la mémoire d’époques passées. Dans les ruines, lieux à l’abandon, la vie végétale reprend. Ses huiles sur toile renvoient à des réminiscences de statues représentant des personnes célèbres, des dieux ou des personnages de la mythologie. La technique de rusticage, de rocaille, qu’elle a expérimentée pour offrir un encadrement et un support à ses toiles, fait écho à cette recherche d’illusion typique des jardins du XIXe siècle. Une certaine étrangeté émane de ses peintures de visages de pierre (série Damnatio mémoriae) qui rappellent les mythes de la transformation en pierre par la divinité Méduse.

Katia Bourdarel cherche également à provoquer en nous l’envie de cheminer dans ses peintures, de nous laisser happer par des découvertes de détails. Dans sa série La naissance de la nuit, les sources lumineuses caressent les végétaux, les marquent tant elles sont puissantes. Dans ses toiles, des insectes apparaissent aux yeux des plus attentifs, témoignant de présences, qui ont capté l’attention de l’artiste.

Elle interroge l’expérience de la perception, un moment de contemplation, de curiosité face à un moment d’intimité, entre ce qui est caché et ce qui est donné à voir. Ses œuvres nommées L’éternité d’un instant incarnent cette sensation de saisir un événement, quelque peu préservé du regard. Dans la nuit, tel un espace-temps de tous les possibles, toutes sortes de changements peuvent avoir lieu à l’abri. Face à Songe d’une nuit d’été #1, on pense au mythe de Daphnée… Les récits qui traversent le temps nous permettent d’appréhender chaque moment de vie. Nous sommes également incités à nous interroger sur notre position face à la peinture et à notre posture d’observateur face à des instants mystérieux. L’artiste s’attache à provoquer cette impression ambiguë, cette instabilité du regard.

Le voile est apparu sur ses toiles comme un élément créant l’illusion, le trouble. Un premier état de peinture est ainsi voilé comme pour cultiver le désir de voir derrière. Quelques percées nous permettent de déceler une peinture (Linteum Rebelle #1). On songe au geste de recouvrir des œuvres historiques pour les protéger du passage du temps.

Des yeux apparaissent dans le feuillage des toiles Rebelle 1 et 2 et intriguent les spectateurs qui les découvrent. D’où un possible dialogue par le regard. Envisageons alors les formes d’intelligences des plantes, leur sensibilité. Nous avons encore beaucoup à apprendre de ces êtres vivants. En nous décentrant, nous pouvons apprécier les spécificités du végétal et nous interroger sur la symbiose et les interdépendances propres au monde des plantes. Nous songeons au cycle des saisons, à la vie des plantes, à la fragilité du vivant. L’artiste voue un soin quotidien au jardin, à une forêt qu’elle a plantée dans le Lot avec l’artiste Sylvain Ciavaldini : un rythme de vie à observer chaque changement, de la fanaison à l’ouverture des plantes. Katia Bourdarel s’attache à étudier ces feuilles en leur offrant un autre espace pictural (série Réceptacle). Elle individualise également ces étranges présences végétales en céramique, leur donnant un aspect proche de la chair.

Ses œuvres suscitent en nous à la fois une certaine attirance par la douceur qu’elles dégagent et une sorte d’inquiétude nous incitant à rester à distance.

Katia Bourdarel
L’éternité d’un instant
Galerie Renard Hacker, Lille
Jusqu’au 30 novembre 2024
Le site de la galerie