Pour sa troisième édition la Biennale de l’Image Tangible dirigée par François Ronsiaux et Dominique Clerc déborde du seul 20ème arrondissement de Paris où elle est née pour prendre plus d’ampleur dans des quartiers plus centraux. Elle se compose ainsi d’une exposition phare, curatée par ses organisateurs qui réunit 16 artistes au 24 BEAUBOURG. Neuf expositions satellites, organisées dans les lieux partenaires jusqu’au 16 décembre présentent 40 artistes sélectionnés par un Jury professionnel suite à un appel à projet. Leurs œuvres sont visibles dans les lieux et galeries suivants : Plateforme, Galerie Charlot, Galerie Olivier Waltman, Galerie DATA, Floréal Belleville, Julio Artist Run Space, Galerie Nocte et l’AHAH.
La reconnaissance de la manifestation se révèle dans la participation de vedettes comme Philippe Katerine , dont l’humour premier degré trouve ici une version image avec Cerf-veau un homme à la cervelle au bout du sexe. Moins anecdotiques on est heureux de retrouver les oeuvres du suisse Roman Signer dans ses expérimentations ludiques sur les pouvoirs visuels du feu et les sculptures minutes de l’artiste autrichien Erwin Wurm qui donnent une parfaite idée de cette esthétique du tangible.
Sinon un retour des sculptures photographiques aux motifs abstraits n’étonnent et ne questionnent pas plus que quelques digressions néo-surréalistes, heureusement des recherches plus fondamentales sont ici mises en valeur par cette intéressante manifestation autour des pratiques photographiques contemporaines .
Trois femmes artistes mettent à la question l’objet de sa version quotidienne à sa forme artistique et jusqu’à son interprétation numérique.
Mathilde Geldhof explore à PLATEFORME le quotidien dans des situations de lumière particulières en recherche d’un décalage dans leur apparente familiarité .Toujours en quête d’un potentiel narratif et poétique elle souscrit à son propre parti pris iconographique des choses .
Hélène Bellenger a initié en 2021 son projet exposé à l’AHAH sur les carrières de marbre blanc de Carrare. Elle réutilise des emballages en carton de produits contenant de la poudre de marbre pour leur blanchiment , afin d’y imprimer leur verso avec ses photos de statues. Loin de l’habituel rectangle formes et texture des emballages modifient notre vision des espaces surexploités de la carrière comme des créations artistiques qui en résultent.
Manon Preto dans une installation d un double écran vidéo révèle l omniprésence parmi nous des data fantômes , sous forme de réseaux sociaux, de sites de partage de fichiers , de toutes les instances numériques qui suggèrent des simulacres d’objets utiles, telle cette basket montrée en 3D. Allant jusqu’au bout de sa démarche l’artiste fait écrire son texte critique par ChatGPT.
A la galerie Nocte deux artistes trouvent des approches singulières des troubles et luttes écologiques.
La belge Laure Winants qui participe aussi brillamment au salon A ppr och e montre ici d’autres modes plastiques des expérimentations qu’elle a menées dans l’Arctique en recherche d’une transcription visuelle de la langue des glaciers. Elle déclare vouloir à l’aide de capteurs redonner voix à cette langue perdue pour nos.
Anna Katharina Scheidegger met en valeur l’importance du plancton marin luminescent menacé de disparition ce qui met en danger toutes les formes du vivant. Elle utilise sa bioluminescence pour en garder la trace par la technique du photogramme . Il en résulte des images d’une grande puissance évocative par leur vive coloration.
L’une des expositions complémentaires les plus intéressantes a lieu dans un commissariat de Philippe Calandre à la galerie Olivier Waltman. Les recherches formelles y sont mises au service d’une approche de thématiques actuelles , de situations politique ou idéologiques.
Kazia Ozga , née à Varsovie , installe à la galerie une sculpture molle de grand format d’un canot fait d’images numériques agrandies de peau saisie à l’entour des yeux. Cette réplique d’un Zodiac utilisé pour récupérer des migrants en perdition rend concret leur situation d’où le titre Sauver sa peau . Au mur une série de cinq gilets de sauvetage Lifevests reprend cette métaphore de la peau avec des variantes de couleurs rappelant la campagne Benetton.
Guangli Liu est né en Chine , vivant à Paris il n’a pu participer à aucune manifestation dans son pays . En 2022 s’y est tenu ce que les média ont surnommé « Révolution A4 » où les jeunes manifestants brandissaient des feuilles blanches en réaction aux interdictions et au confinement généralisé suite au COVID . Il a eu envie de collecter un ensemble d’images des soulèvements contre le pouvoir depuis 1989 (année précédent celle de sa naissance ) jusqu’à l’an dernier. Il les a décrites à une Intelligence Artificielle qui a réalisé ce long panoramique qu’il a produit en cercle. Cette forme oblige le spectateur à parcourir l’espace pour en appréhender la totalité .
A la même époque d’épidémie mondiale Edouard Burgeat a décidé de voyager malgré les interdictions du confinement, traversant différentes frontières de l’Union Européenne à bord de son camion Citroën Jumper. Il a réalisé différentes vues dans une suite de doubles expositions révélant une sorte de tremblement du réel. De retour de ce périple avec sa femme et un loup pour animal de compagnie il a produit une performance autour de son camion customisé avec des transferts . Il a ensuite démonté les différentes parties du véhicule dont il expose des extraits , dont certains sont ré-encadrés d’acier noir.
Un imposant catalogue réalisé en faux carré avec une couverture rigide permet de retrouver tous ces artistes qui ont ici retenu mon attention et d’autres expérimentations tout aussi riches. En couverture une reproduction d‘un portrait réalisé dans une pratique mixte d‘Overprint tout à fait significative par Frédérique Daubal donne visage humain à la manifestation.