La boite de Pandore de Jan Dibbets

Revoir l’histoire de la photographie dans une démarche à la fois rétroactive et une dimension achronique le tout gouverné par la matérialité des œuvres et leur interaction, tel est le programme que s’est donné Jan Dibbets pour « La boîte de Pandore » au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Si cet artiste néerlandais né en 1941 a été formé comme peintre il aime rappeler le choc qu’a constitué, déjà adulte, son premier contact avec la vision technique inédite produite par un appareil photo.

De ce fait invité à organiser cette exposition au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris il ne peut que s’intéresser à la théorie développée par le philosophe et critique brésilien Vilém Flusser qui insiste sur l’importance de la notion d’apparatus, de cette logique technique inférée que l’artistes doit combattre pour affirmer son point de vue et son projet qui en découle.

Acceptant ce présupposé il va chercher à redonner aux diverses images techniques du XIXe siècle une vraie place dont il étend les pouvoirs jusqu’à leur influence sur une grande partie des pratiques plasticiennes de l’image.
Cette démarche fut aussi la sienne dans ses premières œuvres en images où dès la fin des années 1970 il tente ses « Corrections de perspective ».

Les débuts du medium, son invention sont rappelées avec humour grâce à La soupe de Daguerre de Marcel Broodthaers qui revendiquait en 1969 un credo repris par le commissaire de l’exposition : « chaque image réussie montre la faiblesse de la théorie. » Les propositions se multiplient donc à partir du rapprochement d’œuvres où sont mises en avant des relations de continuité. On se demande pourquoi n’ont pas été confrontés plus tôt Boiffard et Meatyard, comme deux aventures surréalistes. Des dialectiques critiques s’opèrent aussi dans la mise en regard de Bragaglia et Weston au sujet de l’objet photographié , ou la matière lumière de l’image explorée par Bertsch aussi bien que par Sugimoto.

Si la mise en avant d’obscurs expérimentateurs scientifiques n’est pas vraiment convaincante , le rappel d’une œuvre aussi significative que la photographie du Spectre solaire de Léon Foucault (1844) s’accompagne de la réévaluation par Dibbets de véritables artistes chercheurs, ceux que Marc Lenot dans la thèse qu’il vient de soutenir évoque comme tenants de la « photographie expérimentale », ainsi Alvin Langdon Coburn et ses recherches autour du « Vorticism ».

Les femmes sont nombreuses dans cette savante sélection, à commencer par Meret Oppenheim dont L’autoportrait de 1963, aux larges boucles d’oreilles réalisé en un profil radiographié, sert de couverture au catalogue.
Les premières images d nature produites au cyanotype dès 1843 sont l’œuvre de l’anglaise Anna Atkins dont la sensibilité vaut bien celle de son contemporain l’auteur du Pencil of Nature longtemps mise en avant.

Mais la contribution de Dibbets à la relecture de l’histoire de la photo vaut aussi pour ses contemporains qui ont contribué à l’aventure de l’art de son époque. Ainsi il rappelle grâce à la précision des cartels que la célèbre œuvre du canadien Michael Snow Authorization datant de 1969 a été précédée deux ans plus tôt par un système visuel tout aussi complexe celui que William Anastasi a intitulé plus simplement Polaroids of a mirror.

Même si l’avènement du post-modernisme a permis de fusionner les approches critiques, il n’en reste pas moins que nous avons pas vraiment fait l’économie des approches traditionnelles suivant les écoles et les courants. Dibbets rompt avec ces habitudes qui réduisent la portée des œuvres. Il nous permet ainsi de revoir du côté du performatif Le saut dans le vide d’Yves Klein (1960) avec le Self portrait as a fountain de Bruce Naumann produit dix ans plus tard. De même trop habitués à lire topographiquement les œuvres de Bernd et Hilla Becher leur mise en relation avec les Incidents of mirror de Robert Smithson nous en proposent une autre vision dans le paysage.

Si le succès international de l’Ecole de Dusseldorf a fait connaître les portraits grand format de Thomas Ruff il est intéressant de les relire face à celui plus flou de la baronne Luisa Casati qui disait à Man Ray qu’il avait fait le portrait de son âme et aux autoportraits démultipliés de Katerina Sieverding. Ces œuvres ouvrent la partie la plus actuelle établie avec les conseils de Markus Kramer qui nous initie à des « objets photographiques » dont la production se trouve dérivée des réflexions sur la fabrication numérique de l’image.

Cette dernière partie, passionnante, nous permet de découvrir des œuvres quasi inédites en France , celles de Wade Guyton, Seth Price ou Kelley Walker. Ce dernier né en 1969 produit à partir des traitements numériques des imprimés grand format, entre sérigraphies et a techniques de collage. Seth Price (né en 1973 ) opère ses « redistribution » , en recyclant, dupliquant, reconstituant des images icôniques ou des projets existants.
L’exposition comme son catalogue constituent une avancée importante pour l’histoire de la photographie dans ses liens à l’art contemporain, nous offrant des modes d’approches sensibles qui ne se contentent ni des savoirs institués par le modernisme ni de pures lectures formalistes. Elles prennent en compte autant la démarche de l’auteur que la matérialité de l’œuvre qui survit aux effets d’époque.