Daniel Challe aime comparer ses tirages photographiques aux « feuilles volantes » d’un journal intime, accumulées jour après jour. Il a redécouvert ces dernières années le plaisir de photographier en utilisant différents « appareils-jouets » (Brownie Flash, Diana, Holga, Instamatic, sténopé en carton, jetable…) dont il aime qualifier les optiques rudimentaires, parfois en plastique, voire totalement absentes, de « lentilles rêveuses ». La série Iowa, de Nancy Rexroth, réalisée au Diana au début des années 1970, réminiscence de son enfance passée dans l’Ohio, a fortement influencé Daniel Challe (et nombre d’acteurs d’un courant archaïsant plus que jamais vivace) ; la photographe aime quant à elle parler de « machines à poésie ».
Si « photographier » signifie étymologiquement « écrire avec la lumière », il s’agit plutôt ici d’être à l’écoute du monde, de le recueillir, le laisser advenir dans les boîtes. De l’utilisation de ces appareils aux réglages approximatifs sinon totalement absents, de leurs optiques de mauvaise qualité, il résulte une image flottante – d’où le titre de la série « Fuga » (en chinois, fu = le vent, ga = le beau), « qui boîte » aussi selon Daniel Challe.
Loin d’une approche totalitaire et dogmatique du monde, la force de ces fragments d’intimité, lumineux et imparfaits, précipités de gris ou de couleur qui ressemblent tant à des souvenirs d’enfance (les caméras-jouets nous encourageraient-elles à toujours faire retour faire l’enfance ?…), réside avant tout dans le parti pris de lâcher-prise. Dans la conviction que ce n’est pas nous qui captons le monde mais bien celui-ci qui, doucement, nous happe. Comme si finalement c’était lui qui nous « racontait ». Les photos de Daniel Challe rappellent qu’en effet c’est bien le cas : la lumière agit sur nous, nous donne vie. Une attitude humble et réjouissante lorsque tant de photographes tentent de nous convaincre – ou de se convaincre eux-mêmes ? – que l’enjeu d’une prise de vue est avant tout d’organiser, de structurer le monde sous la forme d’archétypes rigides : les images doivent être nettes, les paramètres techniques parfaitement maîtrisés. Attitude à la quelle on peut préférer la douceur et la fluidité d’images instables qui s’apparentent plus à notre vision humaine ou à nos images mentales. Des images précaires, fragiles, où le hasard et les accidents jouent un rôle important. Le choix de la « non-maîtrise » ne serait-elle pas, parfois, la seule vraie forme de « maîtrise » ?