Comment aujourd’hui produire un art critique qui ne soit ni prétentieux ni dénué d’humour. C’est à cette tâche paradoxale que se consacre avec brio Isabelle Le Minh dans son exposition « Can’t you make it larger ». Ce qui frappe en entrant dans les locaux rénovés et agrandis de la galerie Christophe Gaillard c’est la diversité des moyens plastiques et la liberté avec laquelle l’artiste les met en œuvre.
On pourrait penser que ce type de pratique est plus livresque que plastique. Isabelle Le Minh confirme cette adéquation avec deux livres d’artistes d’une grande force. Le premier c)over (Mar)about nous invite à revisiter les pratiques de création dans leurs liens aux ouvrages qui ont tenté de les approcher ou de les expliciter. Les couvertures de ces ouvrages fondamentaux sont reproduits sur la bonne page en en caviardant le texte. Pour en lier d’un fil rouge la pensée critique qui se met en place l’artiste utilise un marabout (bout de ficelle théorique) inscrit en page de gauche qui se révèle aussi léger qu’habile.
La seconde édition occupant le centre de la pièce est constitué d’un énorme Listing sous forme de quizz chargé de nous rappeler la diversité des expériences, processus et protocoles mis en action par nos contemporains se piquant de faire œuvre. La question est d’abord posée sous forme de lettres de néon qui nous interpellent : « Tu sais l’artiste qui … », tandis que qu’une imprimante matricielle a craché le même listing riche de plus de 5000 références en vrac sur le sol.
Des photographies jouent quant à elles avec l’architecture de la galerie, elles montrent les corps de certains artistes en situation de guet, d’attente. Une autre série d’images, Don’t fence me in détourées et reportées sur châssis rapprochent et font dialoguer artistes, marchands et institutionnels de la période moderne, tandis que les titres les renvoient à des morceaux de Cole Porter. Ce qui n’était que documents banalisés par l’histoire récente de l’art devient le signe formel d’une complicité amicale au service du projet, tandis que leur corps s’inscrit dans l’espace comme partie prenante de l’œuvre.
Les galeristes ont publié pour accompagner cette exposition monographique le catalogue Un jeu mélancolique , assez complet il montre le parcours de la jeune créatrice, en deux grands chapitres After photography et On art. Dans la première elle réinterprète certaines œuvres qui ont marqué l’histoire du médium, des tirages de Henri Cartier Bresson qu’elles vident de leurs acteurs humains jusqu’à la relecture des photos retournées de Christian Marclay. La plupart des œuvres présentées dans cette exposition appartiennent à la seconde série.
En mettant son exposition sous le parrainage des petits gâteaux chinois à message , lui ayant suggéré le titre , Why didn’t you make it larger ? , elle lui confère une légèreté qui n’est pas factice. Elle correspond à une attitude d’un post conceptualisme plein de malice et d’auto-dérision qui constitue tout le charme d’une intelligence. Avec modestie l’artiste résoud la question qui se pose à tous ses jeunes congénères, comment créer son territoire mental et plastique après et à côté de cette longue lignée de créateurs.