Après la domination du régime maoïste les critiques d’art chinois ont été partie prenante du récent développement exceptionnel de l’art contemporain. Il est intéressant d’étudier le contexte historique et théorique dans lequel s’’est déployer cette discipline. C’est l’objet de l’imposante étude d’Anny Lazarus qui vient de paraître aux Presses Universitaires de Provence. L’auteure, docteure en sciences de l’art, langue et littérature chinoises propose sur près de 500 pages une étude très documentée pour créer ce livre apte à nous aider à mieux appréhender la vitalité de cette scène chinoise.
Dans ce début des années 1980 le renouveau idéologique permet l’éclosion d’un certain nombre d’auteurs qui sont aussi curateurs, historiens d’art, théoriciens et enseignants. Ils se manifestent dans la presse, les catalogues, les anthologies, les histoires de l’art ou dans des essais purement théoriques. Deux figures dominent cette première génération d’après-guerre Li Xianting et Gao Minglu. En 2008 est créée la revue trimestrielle Art Critic (Pipingjian) on y trouve la part importante de Wang Naming qui défend un art critique.
Tous ces auteurs vont se nourrir des écrits essentiels de l’Occident : Panofsky, Greenberg, Michael Fried, Arthur Danto … mais aussi des défenseurs de la French Theory. Certains comme Gao Minglu restaurent à la fois les concepts de la peinture classique en les fondant avec le poststructuralisme.
La critique d’art s’est construite sur les ruines de la « critique publique » de triste mémoire. Le contexte idéologique s’est nourri autant de sources nationales que de références internationales. Elle a du subir une dénonciation de son manque de réactivité, de ses lacunes et de sa soumission au marché.
Cet essai aborde trois générations, les « enfants de Mao » dont plusieurs nés en 1949, les contemporains de Deng Xiaoping et les plus jeunes qui ont aussi tenté de mettre en perspective les propositions de leurs aînés en établissant une « méta-critique ».
Leur action est soutenue par les Archives de l’Art Asiatique créées en 2000 à Hong Kong qui offrent un catalogue de plus de 50 000 titres dont l’un des fondateurs a organisé aussi une filiale de l’AICA.
Anny Lazarus dresse ensuite le portrait des principales figures dont trois historiques nés la même année 1949 Li Xianting victime du maoïsme organisateur de l’exposition China/ Avant-Garde, Gao Minglu qui a créé l’école du Yi en 2007 et qui a monté de nombreuses expositions aux Etats Unis. Wang Lin qui de 1991 à 2001 a organisé les 6 expositions Documents de la recherche en art contemporain chinois.
Dans la génération intermédiaire elle met en exergue le rôle de Yi Ying (né en 1953)et Wang Nanming (né en 1962) qui a aussi travaillé sur calligraphie et pratiques contemporaines. Pour les plus jeunes elle insiste sur He Guiyan (né en 1976). Elle montre aussi le rôle primordial des revues qui se signalent par une rare longévité : Meishu (Art) qui a connu deux périodes d’activité de 1950 à 1976 puis qui s’est renouvelée. Meishu Yanjiu (Recherche en art) très active depuis 1979. ZGMSB (Fine Arts in China) exerce depuis 1985. Dans les historiques elle mentionne aussi le mensuel Jengsu Huakan 1974 (Jiangsu Pictorial Art Monthly) et dans les plus récents Pipingsia (Critique) créée en 2008.
Les publications étant souvent dispersées de nombreuses anthologies ont réuni les textes les plus importants, parmi lesquelles Ere de la critique de Jia Fangzhen ou Fer forgé 1979-2005, les meilleures critiques de l’art d’avant-garde de Jia Wei et Lan Pi en 2006. Il faut y ajouter les nombreuses publications non officielles à compte d’auteur dont la première de cette période le Livre à couverture noire (Heipishu) de Ai Wei Wei,Xu Bing et Cong Xiajun.
L’auteure ne peut manquer à tous les moments de cette histoire de rappeler le poids de l’idéologie qui voit les années 1990 marquées par la revanche du commerce et la décennie suivante par l’essor du nationalisme et la revendication nouvelle d’une sinité. Cela a été facilité par les influences du discours historique avec notamment l’Histoire de l’art chinois 1840-1999 de Lü Peng en 2006 la tentative d’un modèle d’histoire non linéaire de Gao Minglu ou la vulgarisation de Lu Hong grâce au recours de liens forts entre textes et images dans Dépasser les limites…
Les influences classiques ont gardé le modèle de la poésie comme paradigme, la recherche de la sincérité comme exigence, le souci du classement et la définition en six critères de l’observation des œuvres. Anny Lazarus montre cette création qui fonctionne entre le local et le global, elle oblige à des variations sur les termes , des précisions sur modernisme et modernité ou sur l’opposition entre individualisme et humanisme, et encore sur le hiatus entre dualisme et synthèse. Cette évolution terminologique sera étudiée par Pi Daojian et Duan Jun qui procèdent à une analyse des formes d’énonciation. Dans le livre cela se manifeste aussi dans un abondant lexique franco-chinois qui se préoccupe des néologismes et translittérations des noms et courants occidentaux.
En conclusion l’auteure insiste sur une pensée de l’art encore liée au marxisme, où la critique a aussi conservé du confucianisme des principes et critères moraux.Mais cette évolution récente d’une évaluation de ses propres concepts et protocoles participe de ce nouveau courant d’une méta)-critique qui aboutit à la publication d’un ouvrage essentiel et pas seulement pour la Chine de Wang Nanming Essor de l’art critique (2011) qui suppose des allers retours des œuvres à la théorie et de la théorie aux œuvres. Un modèle qui ne peut que nous concerner.