La critique photographique du Monde en état de légèreté

Réponse à Mme « Hélène Simon » à propos du Prix du Jeu de Paume [1]

Nous avons connu les débuts passionnés d’Hervé Guibert écrivant pour le Monde. Certes il avait pris contact avec Geneviève Breerette pour des critiques de cinéma. Heureusement elle lui suggéra que cette rubrique étant abondamment pourvue, il serait bon d’envisager plutôt une écriture spécifique sur la photographie, absente à l’époque des colonnes du journal. Cela correspondait aussi à ses deux champs d’expérimentation sensible du réel et de la place de l’autre. Son écriture littéraire s’infléchit alors à l’écoute d’une création image, pas seulement proche de la sienne. Puis venant du théâtre et de la littérature Patrick Roegiers prit en charge cette rubrique. Même s’il s’est montré souvent conscient de sa responsabilité d’écrire pour une institution journalistique il s’est toujours porté à l’écoute des initiatives de terrain les plus novatrices, tout en permettant à une génération de lecteurs d’apprendre à faire les liens entre les grands artistes de la straight photography européenne et internationale et des créations plus contemporaines. Puis il est parti se consacrer avec un réel talent à sa propre création littéraire.

Nous avons mis ensuite un peu de temps à comprendre l’attitude systématique de Michel Guérin, profondément réthorique , et pour tout dire XIXièmiste dans sa vacherie finale (traduction approximative de l’in cauda venenum) qui surprenait souvent par son caractère exagéré. Heureusement l’analyse qui précédait ne pouvait que satisfaire notre besoin d’approche critique, ou du moins celui que les lecteurs d’un journal sérieux sont en droit d’espérer.

Après quelques articles revendiqués à juste titre par Claire Guillot , depuis quelques temps la rubrique est signée d’un nom féminin Hélène Simon, qui sent son pseudonyme. Caché (e) derrière cet anonymat un de ses articles récents [2] exécute en deux phrases le travail d’un jeune artiste Jurgen Nefzger justement récompensé par le prix du Jury du Jeu de Paume. Jugez-en :

« Car la puissance et l’originalité des oeuvres de Bourcart écrasent « Fluffy clouds », la série convenue de Nefzger, ici sagement présentée. Réalisés à la chambre, aux abords de centrales nucléaires européennes, ces paysages topographiques teintés d’un humour gentillet semblent avoir été vus ailleurs des dizaines de fois. » C’est là que le bât blesse notre écrivaine pressée, que l’excellente série « Fluffy Clouds » dont elle se débarrasse en 253 caractères ait séduit le public. Précisons ce public-là n’est pas forcément celui qui a voté pour Le Pen , puis Sarkozy, ce grand public de la peur de l’autre aime ses centrales atomiques de 2°, 3° et 4°génération et leurs déchets. Ecrirait-elle pour d’autres supports plus grands publics où elle ne peut ainsi mépriser ouvertement son lectorat, attitude qu’elle réserve au journal plus intellectuel ?

Cette personne aussi hâtive dans ses jugements que dans ses passages aux expositions n’ayant peut être pas eu le temps de savoir ce qu’était ce prix nouveau, rappelons le lui.

Une première sélection opérée par des professionnels européens a choisi 40 artistes avant qu’une seconde commission composée d’autres responsables et institutionnels ne réduise ce nombre d’impétrants à la quinzaine dont Jurgen a fait partie. Quant à son parcours, après des études en Allemagne dont il est originaire il a été formé à l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie , située à Arles, dont les diplômes sont en cours de reconnaissance au niveau mastere européen. Très vite après sa sortie il a rejoint l’équipe d’artistes internationaux de la galerie Françoise Paviot. Ses oeuvres sont dans les collections du FNAC (Fonds National d’Art Contemporain) du FRAC Ile de France. Une autre galerie, située à Francfort défend aussi ce travail. Cette recherche a été soutenue en 2005 pour que sa portée soit vraiment européenne par une bourse Villa Médicis Hors les Murs décernée par un ensemble de professionnels et d’institutionnels des Ministères de la Culture et des Affaires Etrangères.

A-t-elle eu le temps, Hélène Simon, d’apercevoir à la librairie du Jeu de Paume le dernier ouvrage de cet auteur « Hexagone » [3] en deux volumes, a –t-elle pris le temps d’ouvrir l’envoi de presse qui n’a pas du manqué de lui être fait. Les sous-titre « le paysage fabriqué » et « le paysage consommé » correspondent aussi aux deux temps de cet accrochage clair et progressif, les saisons de tous nos dangers sont exposés sur les trois murs principaux, tandis que le 4° montre les coulisses bricolées de ces lieux intempestifs.

Dans la préface de cet ouvrage sur la France Jean Marie Baldner écrit : « là se défient la documentation et la narration, la contemplation et l’ironie, l’adhésion et l’inquiétude ». En effet dans l’ensemble du travail se met en place une photo de proximité servie par une technique lourde celle de la chambre, qui contrairement à son usage dans l’école de Dusseldorf, essaie de se faire discrète. L’attitude documentaire s’engage dans une œuvre qui mêle émotion et interrogation conceptuelle. Une variante plus narrative existe dans le diaporama vidéo Vadecaballeros trop long aussi pour cette dame , elle explore loe site de cette usine nucléaire espagnole , jamais finalisée, alors que pourtant prête à être mise en service.. Les effets désastreux de cette récente campagne électorale auraient ils banalisé la question écologique au point qu’elle soit incapable de comprendre l’intérêt d’une subtile approche critique de ces sites qui prolifèrent. Saura-t-elle voir l’intérêt politique et humain des sublimes photos de fonte de glaciers du même Jurgen Nefzger, exposées par Françoise Paviot à Art Paris, ne risque –t-elle pas de les confondre avec des photos de calendrier juste bonnes pour un grand public ?

Heureusement une institution comme Le Monde possède d’autres ressources qui peuvent apporter des compensations à une attitude aussi élitiste. Ainsi rappelons nous que Le Monde.fr a diffusé durant toute la campagne électorale les Petites Œuvres Multimédia des « Territoires de fiction » (voir article rubrique Tactiques) et l’équipe de rédaction du Monde 2 confie un portefolio de six pages à Jurgen Nefzger dans son Hors série à paraître en ce début de mois de juin 2007.

Quand l’Hôtel de Sully n’était pas encore le Jeu de Paume Site Sully, chaque exposition programmée par Pierre Bonhomme et son équipe pour la Mission du patrimoine Photographique était laminée par Michel Guerrin, les responsables ne s’y sont jamais habitués, les lecteurs attentifs et intéressés par ces propositions de qualité non plus. La double exposition du Prix du Jeu de Paume, si nécessaire aux jeunes auteurs, est accueillie dans les mêmes locaux , le destin critique de l’une d’entre elles reste le même. Le mépris du public et des artistes ne constitue pas une attitude digne d’un tel support, ni des exigences critiques actuelles.