L’école des Beaux-Arts de Poitiers présente actuellement l’exposition monographique d’une de ses anciennes élèves, Céline Cléron. Intitulée « La dénature », elle propose une quinzaine d’œuvres ou séries de la jeune artiste, dont on avait déjà pu voir les productions à la Maison Guerlain cette année, ou encore à la galerie Frédéric Giroux en 2009.
À première vue, l’univers de Cléron semble d’abord se placer sous le signe du précieux, et ce dans diverses acceptions : des matériaux délicats qu’elle utilise émerge une sorte de maniérisme qui pourrait agacer par sa perfection, que l’on pense par exemple à Now spring till now, coussinet de couturière où les aiguilles piquent des insectes de porcelaine, ou encore à Fabula, clef des champs formant une bulle de verre soufflée faisant immanquablement référence à la prouesse technique de sa réalisation.
Il y a, c’est certain, de petites pointes d’humour dans le travail de Cléron, qui s’amuse à réaliser une permanente sur un saule pleureur qui n’avait rien demandé, par le biais de bigoudis géants (victoire absolue du saule, par ailleurs, qui ne semble pas avoir frisé durablement à la suite de cette expérience pour le moins traumatisante), ou encore à transformer de désuètes cornettes de religieuses en charmantes cocottes en papier. Mais si la « dénature » peut évoquer ce détournement des formes par un biais humoristique, il n’en reste pas moins qu’on ne dira jamais assez à quel point les œuvres de Cléron agissent d’abord sur le mode de la contrainte. Trompé par la finesse des matériaux et du savoir-faire, le spectateur pourra aisément ne pas percevoir la violence de certaines de ses propositions. Car les matériaux qu’elle utilise sont constamment malmenés, qu’on les torde (+ l’infini, un stoppage étalon serpentin), les troue (Le silence des sirènes), les plie ou les roulotte. Chez l’artiste, la dénature semble être avant tout la maîtrise absolue du monde qui l’environne, quitte à le soumettre autoritairement à ses volontés esthétiques.
Par ailleurs, outre les contraintes qu’elle impose à ses matériaux, Céline Cléron crée un environnement qui, malgré son onirisme, reste imperturbablement figé. Les abeilles ont délaissé les collerettes amidonnées, désormais rigides dans leurs vitrines (La régente) ; la bulle de savon est arrêtée tout net dans sa progression diaphane, et des ballons de baudruche sur lesquels elle avait dessiné d’étonnants petits motifs faisant penser à Roland Topor sont, comme les papillons, épinglés comme des trophées sur le mur (Seules les Pyramides ne fondent pas au soleil). Des bustes sans tête côtoient des mannequins zoomorphiques immaculés. Plus que la poésie légère inhérente à ses œuvres, c’est l’inquiétude qui en émane qu’il faudrait évoquer à propos de cette exposition. Proche de la bizarrerie et de la froideur méticuleuse du cabinet de curiosités, le travail de Cléron séduit au premier coup d’œil, mais ne se laisse pas si facilement enfermer dans des petites cases.