La géopoésie des « Chutes » numériques de Christian Corre

Du temps des avant-gardes actives dès la fin des années 60 , des artistes performers proches du land art avaient fait de la marche un protocole leur permettant d’aborder le monde avec des machines de vision, photo ou vidéo.

Une prochaine exposition des Rencontres d’Arles organisée par Laetitia Talbot dans la galerie de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie en témoignera sous l’intitulé « Marcher-Créer ». Le corps de l’artiste, à l’instar de Francis Alys ou Hamish Fulton, prend la mesure du paysage dont il garde l’échelle. Ces repères ont aujourd’hui changé du fait de la surexposition de notre planète à la surveillance satellitaire. Si la carte analogique vectorielle était alors la référence elle a été remplacée par les cartes numériques organisées en temps direct par des didacticiels de plus en plus complexes. Google Earth donne aujourd’hui la mesure précise de cette vision modifiée. Comme l’écrivait le philosophe et météopolitologue Paul Virilio : dans « Le Monde diplomatique » en 1999 : « Ainsi, à la réalité de l’espace-temps de nos déplacements physiques, et à la perspective qui organisait, depuis plus de cinq siècles, notre vision du monde commence à se substituer une sorte de stéréo-réalité. Une réalité actuelle (immédiate) où se déplace notre corps, et une réalité virtuelle (multimédiatique). » Des artistes ont approché ces stéréo-réalités dans de nouvelles esthétiques qui modifient les liens entre dessins et images numériques.

Christian Corre est de ceux-là, J’avais découvert son travail il y a cinq ans à la galerie Akie Arrichi dans une exposition justement intitulée
« Cartographies-Paysages » , travaillant déjà des œuvres mixtes sur papier il y côtoyait les pièces multimédia de Miguel Chevalier.
Si son inspiration est d’abord géographique il modifie son point de vue grâce à ses talents de photographe et de graphiste. Sa démarche rejoint alors celle des artisans canadiens de la géopoétique (http://www.geopoetique.net/) qui introduisaient ainsi un de leurs ouvrages collectifs
« Artistes, géographes et écrivains
S’observent, froissent la carte
D’aussi loin qu’ils habitent
Retournent au mouvement
Des brouillons et points de vue
Sur leurs paysages
En amont, la carte reprend vie »

Sa manière propre de dynamiser ses oeuvres consiste à mêler en palimpseste des vues de paysages réels, et d’autres approches topographiques à des échelles différentes, les détails architecturaux et les vues en plans très généraux cohabitent en des fusions habiles. Cependant la vision globale qui prime reste celle d’une verticalité que dénonce le titre générique de « Chutes » . Paul Virilio semblait évoquer ce parti pris quand il écrivait dans le même article
« La dimension zénithale l’emporte de loin – ou plutôt de haut – sur l’horizontale, et ce n’est pas une mince affaire puisque ce « point de vue de Sirius » efface alors toute perspective. »

L’artiste en utilisant des tirages numériques de grand format (150 par 100) retrouve une dimension de représentation qui nous oblige à positionner notre corps de spectateur dans une posture de déchiffrement. L’utilisation de papier arche torchon donne à la vision de l’auteur une dimension sensitive, sinon sensuelle, qui nous permet de différencier les différents éléments arrêtés comme en lévitation. Les effets d’avalanches, d’effondrements, rejoignent les préoccupations du philosophe quant à un Musée de la Catastrophe dans une sorte de tsunami visuel qui rappelle les nouvelles façons de nos civilisations de se révéler mortelles.