Les éditions Loco publient le nouvel essai de fiction documentaire critique de Christiane Vollaire et Philippe Bazin « Un archipel des solidarités, Grèce 2017-2020 ». L’ouvrage est dédié « À ceux que les tempêtes politiques, qui menacent nos archipels, continuent de fracasser. À ceux qui ont la puissance solidaire d’affronter ces tempêtes. » Ils y démontrent comment le pays a souffert à long terme d’une violence politique, policière, migratoire et historique , résultante des décisions économiques nationales et européennes. Ils y opposent différentes expériences communautaires de résistance sinon même de résilience sociale.
A partir de 2008 la philosophe et le photographe engagent leur premier travail collaboratif en Pologne qui a donné lieu au livre Le milieu de nulle part édité par Créaphis en 2012. Ils l’ont poursuivi avec Vider Calais en 2016 . En revendiquant sa pratique comme philosophie de terrain Christiane Vollaire réaffirme comment et combien la réflexion a besoin de cet ancrage dans le réel. Elle intervient par des entretiens, méthode héritée des sciences humaines, sociologie et anthropologie. Entre juillet 2017 et janvier 2020 elle en a réalisé 115 avec différentes personnes, toutes et tous acteurs de l’ Histoire dans une dimension collective, chacun reconnu dans son activité déployée dans « une énergie du commun ». Le premier portfolio regroupe des « portraits d’entretiens » : témoin muet de ces rencontres Bazin se porte à l’écoute du langage des corps et tente de photographier la pensée en acte sur le visage des interviewés. Très vivant cet ensemble de visages a de plus l’intérêt de questionner la méthode d’approche documentaire. Ils sont partie prenante d’initiatives comme l’usine autogérée de Viome à Thessalonique, le mouvement contre l’ouverture de la mine d’or de Skouries, les associations de soutien aux migrants de Lesbos, les actions de résistance du quartier d’Exarchia contre les violences policières. Ils sont originaires de trois îles Ikaria, Makronissos, Lesbos représentatives des tensions du pays dues à son système d’oppression économique et politique. Les portraits souvent en dialogue dans la double page sont parfois appariés avec des vues de situations documentaires, leur conférant un prolongement symbolique.
Chacun des trois grands chapitres du livre énonce une situation socio-historique, le premier se situe « face à des politiques économiques destructrices » à laquelle s’oppose les portraits. Le second pose « la question des migrations » et se prolonge avec le second portfolio des « paysages à l’épreuve de l’histoire ». Celui-ci ouvre le dernier chapitre sur « Le temps long de l’histoire ». A chaque étape répondent des actions menées énoncées sous forme de verbe à l’infinitif. Les témoins engagent ainsi ces réactions quant aux conditions générales : « défendre la santé », « reconstruire une socialité » et « construire des espaces alternatifs ». Pour répondre à la situation des migrants les deux auteurs suggèrent la nécessité de « questionner le geste humanitaire ». Face à la lourdeur de l’héritage historique ils recensent divers politiques solidaires pour « un présent qui résiste aux configurations de l’oppression ».
Le second portfolio développe un ensemble de vues paysagères liées aux sites de la 2e guerre mondiale puis de la guerre civile dont l’intérêt principal réside dans le légendage permettant une reconnaissance de ces lieux et de leur rôle. Quelques prises de vues urbaines révèlent des situations de pauvreté ou de conflit. D’autres images rendent compte des situations d’hébergement dans les camps de réfugiés tandis qu’un diptyque d’une grande force illustre « la décharge des gilets de sauvetage des exilés, à l’est de Molyvos ». Une autre vue cadre « Une sculpture érigée en mémoire du massacre de 700 personnes par les nazis d’après des photographies d’époque. » Le document une première fois statufié revient à l’état d’image. Ce que Philippe Bazin décrivait dans son essai Pour une photographie documentaire critique par cette formule « « Le documentaire critique ne produit donc pas des documents, ce qui nous informe, mais des monuments , ce qui nous donne à penser. »
Sur le rabat de la 3ème page de couverture on trouve une image couleurs légendée « Bouquet de fleurs en fil de fer, laiton et fil de coton.
Réalisé et offert sur l’île d’Ikaria par P.P., 85 ans. Savoir-faire d’objet de prison, appris de son grand frère Nikos, déporté politique sur l’île de Makronissos. » Cette offrande finale participe comme les Objets de grève de Jean-Luc Moulène d’une sous culture populaire en lutte. Contre répressions et discriminations le pari en œuvre sur les solidarités traverse textes et photographies pour un avenir de l’Archipel plus porteur.