La lente reconnaissance des migrants aux risques d’une fiction documentaire

Dans l’histoire récente des images la forme atlas renvoyait au domaine des savoirs, des sciences humaines avec l’Atlas Mnémosyne d’Aby Warburg remis en lumière par Georges Didi-Huberman. Le MUCEM en donnant carte blanche à Mathieu Pernot pour son « Atlas en mouvement » visible à Marseille jusqu’au 9 octobre 2022 prouve que cette ambition peut se concilier avec une thématique aussi problématique que celle de l’émigration, enjeu de débats idéologiques confisqués par l’extrême droite.

L’exposition constitue d’abord une somme photographique regroupant diverses séries réalisées par Mathieu Pernot depuis 2009-2010 avec La jungle de Calais, puis la série des formes fantomatiques des Migrants sdf réalisée dans la Capitale, jusqu’aux prises de vues 10 ans plus tard au Camp de Moria dans l’île de Lesbos.

C’est l’occasion pour le photographe d’en reformuler la logique au service d’une remise en cause des trop nombreux clichés sur les migrants diffusés par les media Bolloré et les autres supports papiers au service de l’extrême droite, pour leur opposer une nouvelle vision de l’exil où les personnes déplacées, échappant à l’anonymat, retrouvent leur identité et leur humanité.« L’idée était d’inverser la perspective, de voir les migrants non comme des gens sans bagage qui viennent s’installer chez les autres, mais au contraire comme les détenteurs d’une culture, d’un savoir. »

Un autre corpus complète ainsi les tirages du photographe , il est composé de vieilles cartes marines, de vues de la voûte céleste, de cahiers d’écolier couverts d’écritures inconnues de planches botaniques, des travaux menés en collaboration avec des migrants, des enregistrements qu’ils lui ont confiées et toutes sortes d’éléments documentaires qui relèvent de l’astronomie, la botanique, la médecine… La diversité de leur provenance en donnant une assise universelle à l’ensemble les installe dans la logique des atlas. Ce que confirme la dimension imposante de cette quête avec ses 111 photographies, ses 20 vidéos et les 177 supports manuscrits, cartes et objets trouvés.

Soucieux de ces témoignages à la première personne il a l’idée dès 2012 de demander aux migrants qu’il rencontre de rédiger leur propre aventure sur des cahiers d’écolier qu’il leur confie . Lors d’une résidence au Mémorial de Rivesaltes en 2015, il se trouve en contact avec des réfugiés parlant le tigrinya, langue d’Erythrée il est séduit par la beauté de la transcription « Je me suis découvert ignorant. J’ai voulu faire quelque chose autour de l’histoire des écritures, qui dépasse les histoires individuelles. » Ces Cahiers afghans qui seront exposés une première fois au Musée Juif de Belgique à Bruxelles sont ici repris au MUCEM avec leur traduction en français.Ils sont rédigés dans différentes autres langues dont le devi, le tchétchène, le géorgien, l’arabe ….

L’ambition du projet se manifeste dans le passage de ressentis universels avec les chapitres Dans la nature, Sous les étoiles, Autour du feu, Avoir un toit, puis les menaces sur le quotidien remettant tout en question qui obligent les migrants à Devoir partir, Prendre la mer, Eprouver son corps , et puis enfin Arriver quelque part et pouvoir enfin Raconter son histoire.D’autres moyens sont valables pour ce faire. La Black Box projette les vidéos réalisées au téléphone portable qui documentent la traversée en mer et la vie dans les camps. Pour compléter ce passage de l’universel au singulier les portraits individuels de migrants qui révèlent l’empathie du photographe pour ses modèles sont autant d’autres riches témoignages de cette humanité en souffrance.