La Maison Européenne de la Photographie sauvée par son Studio ?

Peut on juger d’une direction artistique en deux programmations ? Il est toujours difficile de reprendre une institution après une longue gestion, surtout lorsque celle-ci est le fait du fondateur. L’arrivée de Simon Baker à la MEP a suscité de nombreuses interrogations. Notamment parce qu’elle a été marquée par son « brexit » envers le Mois Européen de la Photographie qui avait été initié par Jean Luc Monterosso. Cet été une exposition rétrospective dédiée à Henry Wessel et son pendant narratif sur le film noir à partir de la collection sont présentées en même temps que deux expositions plus courtes au Studio, carte blanche à deux jeunes femmes photographes Marguerite Bornehauser et Adèle Gratacos.

L’ambition de vouloir montrer en France l’oeuvre d’Henry Wessel à la fin de sa vie est louable. Il était l’un des 10 artistes de l’exposition New Topographics : Photographs of a Man-Altered Landscape, organisée en 1975 à la George Eastman House. Rappelons qu’on pouvait y voir aussi Robert Adams, Lewis Baltz, Joe Deal, Frank Gohlke, Nicholas Nixon et Stephen Shore et le couple Bernd et Hilla Becher. Tous s’écartaient du paysage dit « naturel » pour aborder le paysage industriel et post-industriel d’une façon frontale et sérielle. Lewis Balz revendiquait ainsi leur absence de style : « Le document photographique idéal se signale par l’absence d’auteur et d’art. » Rétrospectivement ces auteurs ont affirmé individuellement leur propre signature. De ce fait les images montées en arrangement pour Incidents se fondent trop dans l’esprit de l’époque. En revanche les vues nocturnes de Sunset Park transfigurant les villas pavillonnaires de Santa Monica sont plus personnelles.Mais la comparaison de leur auteur avec d’immenses créateurs comme Lewis Balz ou Stephen Shore ne se fait pas à son avantage.

Pour clore son action Jean-Luc Monterosso avait organisé l’exposition La photographie française existe je l’ai rencontrée afin de mettre en valeur le versant national de l’importante collection qu’il avait réunie. C’est plutôt à l’aspect international de cet ensemble que s’adresse Le fil noir, même si les auteurs hexagonaux y sont nombreux notamment ceux de la tendance humaniste. On trouve aussi pour illustrer ce prétexte du film noir Daniel Boudinet, Raymond Depardon, Dolorès Marat ou Bernard Plossu. Parmi les auteurs très justifiés dans une telle thématique on compte bien entendu Weegee pour The Naked City ou Les Krims avec sa série toujours pleine d’humour noir The Incredible Case of the Stack O Wheats Murder. Si la sélection a l’avantage de nous faire retrouver des oeuvres importantes ou de découvrir des inédits comme ceux d’Ikko Narahara il est regrettable de ressentir l’impression que ces oeuvres sont instrumentalisées par un propos illustratif. Des rapprochements très formalistes comme ceux des tirages de Yasuhiro Ishimoto, avec ceux d’Arnaud Claass et Saul Leiter ne respectent pas les singularités de ces auteurs. Une oeuvre majeure, mais mal éclairée dans sa vitrine, est le livre d’artiste My Mother’s Killer des polaroïds de David Levinthal édité en 1998 par Coromandel avec un texte de James Elroy. L’hommage à la diversité et à la qualité de la collection l’emporte sur le désagréable effet d’utilisation des oeuvres aux dépens d’une thématique très généraliste.

En juin et juillet dernier c’est Marguerite Bornhauser née en 1989 et diplômée de l’ENSP d’Arles qui a investi le premier niveau du bâtiment dorénavant appelé Le Studio. Elle a publié deux livres Plastic Colors (MACK, 2017) et 8, sur les traces de Françoise Sagan, aux éditions Poursuite. Elle collabore avec Choi , du laboratoire Cadre en Seine, pour produire ses cibachromes. En intitulant cet ensemble Moisson Rouge elle rend hommage ainsi à Dashiell Hammett, mais revendique surtout son propre univers haut en couleurs. Visages et corps sont marqués par les ombres et les taches de couleurs et dialoguent avec les éléments d’architecture intérieure dans des liens mystérieux qui incitent le spectateur à un déchiffrement personnel.

En juillet et aout une autre artiste française Adèle Gratacos née en 1993 et diplômée de La Cambre en Belgique installe sa Cartographie plurielle d’un visage titrée Est ce si épuisant de scruter l’invisible ? L’exposition est complétée par la publication d’un catalogue au format journal. L’artiste en effet travaille le texte sous forme de graffitis muraux insulaires et d’enregistrements sonores chuchotés. L’installation regroupe aussi des polyptyques et une vidéo projetée sur une vieille armoire. Son sens de la formule s’exprime dans ses longs titres et sous titres, ainsi la bibliothèque présente un autre de ses livres d’artiste Ces tremblements qui nous exposent (Too close is not enough). La reconstruction lente de cette fiction globale suppose un spectateur attentif qui déchiffre les entrelacs d’écriture sur les murs et cherche les liens entre les corps et visages actuels et les figures sacrées des peintures religieuses. Dans sa quête de l’invisible l’artiste établit une continuité des passions humaines qui nous touche au plus vrai de nous.