La matière et les médiums, Pascale Ract

Giuseppe Penone dit : « Le seul lien entre tous ces arbres, c’est ma présence »(1). On pourrait dire à propos de l’œuvre de Pascale Ract que son lien avec la matière (quand il s’impose de façon imprévisible) est sa présence à la matière, la présence de la matière à elle, la présence de leur rencontre, « l’imagination de la matière » comme l’écrit Bachelard (2), le “de“ renvoyant tant à la matière qu’à la personne face à la matière qu’elle imagine.

Pour Pascale, la matière devient medium, et ce terme peut aussi s’entendre comme ce ressenti profond et intuitif avec le copeau de bois, les lamelles de bois de placage, le bois de cèdre altéré, les éclats de granit, les éclats de marbre -éclats déjà issus de la taille d’un autre sculpteur-, la gaine plastique, le caoutchouc, le pneu, la plaque de métal, les écorces d’orange, les fleurs de cerisier, les sédiments d’eau de lavage des pinceaux. Tous déjà chargés de leur passé…

Les lamelles deviennent ce qu’elle appelle Ardente, sorte de grande calligraphie en volume dans l’espace qui s’anime en chorégraphie ; les éclats de granit deviennent Coquilles comprenant (dans tous les sens du terme) le vide ; les éclats de marbre s’agglutinent en Borries, …

« C’est un cheminement de la matière en cohérence avec l’énergie qu’elle contient avec toute son histoire »
Le morceau de matière résumé à un fragment de matière, devient sujet de la rencontre entre les deux médiums, matériaux (dont elle-même) en communication sensorielle et extrasensorielle que la production qui en résulte concrétise. Métonymie des deux protagonistes en interaction.
Pascale est comme interpellée, sans aucun projet préalable, “façonnée“ dit-elle, pour concrétiser la rencontre en un assemblage qui la résume dans un échange de vie vibrante, échange, oui, réciproque, en écho.
Evolutif. Car rien n’est arrêté. Le duo se prolonge aussi éventuellement avec un environnement, vibrations in situ.

On pourrait parler d’animisme car l’esprit est commun dans une correspondance intime entre l’artiste et ce qui se réanime sous ses mains, ou plutôt ce qui n’a jamais été rendu totalement inerte et se révèle (et qu’elle révèle) vivant, ce participe présent toujours en dynamisme, jamais complètement fini.
Sa profession autre -mais est-elle vraiment autre ? – celle d’Art-thérapeute est aussi ouverture intuitive à la subjectivité d’autrui, de telle façon que se mette en place une intersubjectivité qui part de la personne en thérapie et, du coup, met en mouvement ce qui s’était éventuellement arrêté dans la souffrance. Souffrance de l’être humain, ou matière réduite à un fragment apparemment inerte, dont l’histoire, les histoires la touchent, terme autant sensoriel que sensitif.

Pascale Ract insuffle de la vie à partir de sa réceptivité vibrante : atteindre le vivant « au sens plus large que la nature » (3)
Elle parle de synesthésie. J’évoquerai pour ma part la poésie dans son essence même. Sculpteure en taille directe, pierre et bois puis graveuse à l’eau forte, « architecte frustrée », elle désire maintenant s’appeler plasticienne et se prête « aux surprises de la matière ou du processus », celui-ci s’inscrivant dans la temporalité.

Il est des souffleurs de verre, Pascale Ract est souffleuse de vie en médiumnité avec la matière, on peut même dire qu’elle est réanimatrice.
André Breton en exil dans un voyage commun vers la Martinique entre le 25 mars et le 20 avril 1941 en réponse à une question de Lévi-Strauss sur le caractère de l’œuvre d’art de « liberté totale » définit ainsi « l’attitude initiale » de l’homme : « identification progressive du moi conscient avec l’ensemble de ses concrétions (c’est bien mal dit) tenu pour le théâtre dans lequel il est appelé à se produire et à se reproduire ». Le terme utilisé pour le rôle que l’homme doit y jouer n’est pas « se représenter », qui supposerait une figuration d’une identité préalable, mais « se produire » et « se reproduire », c’est-à-dire se prendre soi-même comme production, agir son propre engendrement, devenir son propre ancêtre.

Pascale Ract, quant à elle, réengendre non seulement les matières mais elle-même en liaison avec elle et par là, nous-mêmes inclus en vibrations comme faisant partie un moment de son installation en mouvement jamais figé.

(1) G.Penone Le Figao 4 Fevrier2017
(2) G Bachelard « Leau et les rêves, essai sur l imagination de la matière, » José Corti 1941
(3) P. Ract « Une belle histoire du temps » ARTS Magazine 152 (à propos du salon Réalités Nouvelles)