La matière grise du paysage en all over

Le photographe face au paysage tend le plus souvent à prendre ses distances, cela lui permet de jouer le grand format, la vue comme on disait au XIX ème siècle ou même le panorama. Eric Bourret cherche quant à lui à se fondre dans le paysage, pour cela il l’arpente longuement et tente de l’appréhender du dedans, au plus près de ses entrailles végétales.

La couverture de son livre Terres publié par Arnaud Bizalion apparait abstraite , parcourue par un fin réseau qui semble tressé, stratifié dans sa substance végétale même. Dans sa préface Pierre Parlant revendique la quête du « non état des choses », donnant dans sa démarche la primauté à l’arpentage dans le paysage dont il se déprend par l’image , alors que sa marche structure sa pratique artistique. Cela correspond bien au partage du photographe de sa vie entre le sud de la France et l’Himalaya qui le rattache aux land artistes.

Le livre regroupe une large sélection d’images issues de la résidence effectuée par l’artiste dans le Lodévois et le Larzac en 2018 et 2019, et d’une série plus ancienne, Cradle of Humankind, réalisées en 2015. On peut lire ce titre comme le suggère Yonne Papin-Drastik,Directrice du Musée de Lodève comme la résultante d’une « étonnante conjonction temporelle entre une nature vieille de plusieurs millions d’années et un humain qui ne vit qu’un moment abrégé » Elles sont pour la plupart reproduites dans toute la surface de la double page, et sont construites le plus souvent dans une composition en all over, qui rend difficile les repérages spatiaux selon les dimensions haut bas. Notre regard se perd dans l’entrelacs de l’invisible et du visible.

Deux chapitres intègrent une mise en page regroupant plusieurs reproductions de plus petit format, isolant bosquet, bocage ou fourré pour le Causse du Larzac ou accident géologiques quand son regard se détourne du magmas végétal se détachant sur fond de ciel. Il s’affaire en scrutateur des sols pour figer les strates géologiques qui les composent.

Le lac du Salagou offre à l’auteur un mixte de végétation, de reflets célestes et un miroir d’eau où se reflètent les clairières environnantes. Ces vues fluides partagent avec les frondaisons des premiers chapitres la même densité dans un semblable foisonnement inextricable.

Pour clore cette ballade spirituelle dans la nature les images des Grands Causses sont verticales et semblent offrir des plans plus serrés, dans des tonalités plus pastels. Pour le lecteur ce ressenti est accentué dans le livre par l’alternance avec des pages blanches, offrant une respiration après les envahissants all over.

Les diverses densités paysagères ici abordées matérialisent le rapport d’Eric Bourret à son oeuvre exigeante « Pour moi l’image photographique est un réceptacle de formes, d’énergie et de sens. »