Pour un artiste l’atelier est comme une seconde peau, le lieu d’incarnation de l’oeuvre. En dehors de la tradition des forgerons et sculpteur de métaux depuis Yves Klein les artistes ont appris que le feu pouvait devenir un allié de leur pratique. Dans les protocoles techniques complexes qu’ils élaborent ils revendiquent une maîtrise complète du feu. A contrario Judith Baudinet a subi l’incendie qui a ravagé son atelier comme une catastrophe intime, à surmonter.
Face à la destruction d’une grande partie de son oeuvre elle n’a eu comme recours que le constat archivial du préjudice subi. La série Visiblement , aller au charbon avec sa distance d’humour critique montre comment les traces de la brûlure sur ses livres , oeuvres et dossiers refont oeuvre. En plasticienne elle pense aussi à prélever des éléments d’architecture intérieure pour les réactiver en les scénographiant. C’est ainsi qu’en 2017 elle a logiquement été invitée à participer par Pierre Bongiovanni à l’exposition Ordinaire du désastre, permanence de la joie , organisée à La Maison Laurentine, Centre d’Art.
Pour sa dernière présentation au lieu d’exposition 100 ECS, Établissement Culturel Solidaire parisien dans le cadre de l’exposition collective L’autre c’est moi elle montre quatre séries qu’elle organise en installation. Elle interroge ainsi ce qui fait communauté pour un artiste. Il y faut un atelier fut il en ruines , des oeuvres, elles appartiennent ici à la série Middle East, dans leur format carte postale leur surface a aussi fait l’épreuve d’une agression matiériste. Réalisées en Egypte, Jordanie, Syrie et Liban le temps, le feu et l’eau leur ont conféré une nouvelle matière, l’auteure écrit « comme si les évènements historiques étaient venus sur-imprimer ces « clichés ». A côté de la cellule principale une photo de groupe avec leurs participants figés en pied tient lieu de lignée identitaire, bien que leur visage soit masqué, comme caviardé. Ce tirage de plan noir et blanc nous confronte à leur attitude positive, comme le suggère le titre Welcome. Au coeur du dispositif enrobant pour le visiteur incité à s’approcher pour mieux déchiffrer les images de divers formats, l’artiste est présente à travers les photos de corps. Cette série de Nus voit ses tirages barytés soumis à la pluie, au temps et à la moisissure, leur conférant une présence singulière.
Comme l’écrivait Daphné Le Sergent dans un commentaire publié sur notre site en 2008 suite à une exposition monographique de Judith Baudinet à la galerie Univer :
« A ce titre ce sont des photographies haptiques (du grec Haptein : toucher) construisant un espace où l’oeil instaure une bande, où comme l’écrivait Jean Paulhan à propos des toiles cubistes, on progresse à tâtons dans l’oeuvre à la manière d’un aveugle découvrant une pièce, un fragment puis un autre. »
Cette dimension tactile rend concrète une multiplication des temps de création de l’image, qu’ils soient ralentis par le protocole d’un appareil sans objectif comme l’archaïque sténopé, qu’ils soient soumis aux aléas atmosphériques ou à l’agression destructrice du feu.
Un autre artiste, Pascal Convert, lui aussi motivé par les liens entre l’histoire intime et la grande Histoire, mène une création proche de la démarche de Visiblement. Dans la bibliothèque des Broglie du Château de Chaumont sur Loire détruite par un incendie en 1957, il a installé cette année ses livres cristallisés. La cristallisation au livre perdu consiste à substituer au livre du verre en fusion. « En résulte un objet fantomatique, un ouvrage cristallisé porteur de mémoire vitrifiée. Les restes calcinés du livre initial demeurent au cœur de la sculpture. »
Une préoccupation semblable occupe Judith Baudinet qui s’est manifestée aussi à travers une série comme Poétique des lieux oubliés. Elle construit sur les ruines du passé une archéologie mémorielle tournée vers le futur pour continuer de vivre, d’aimer et de créer.