L’artiste Nicolas Floc’h expose au FRAC Grand large « La couleur de l’Eau » du 2 avril au 4 septembre 2022 en collaboration avec artconnexion (Lille) qui accompagne Nicolas Floc’h dans ses productions avec la Station marine de Wimereux depuis 2014 et d’autres partenaires (1)

« Mer qu’aux yeux prend la couleur du vin ». On retrouve cette expression dans l’Iliade d’Homère à plusieurs reprises. Il s’agit de la Méditerranée mais aussi des océans et nous avons constaté à Chypre et ailleurs qu’à l’aube ou au coucher -durant certaines saisons et selon particulières conditions atmosphériques- la mer vire son bleu vers l’indigo, le violet, le pourpre…Ce bleu devient vert et nous accueille avec ses dégradés dans la grande salle du FRAC Grand large. Ici nous allons nous rafraîchir l’esprit jusqu’au vert émeraude, puis les grands monochromes jaune et ambre de l’eau du Mississippi et enfin on replonge dans le bleu ou Tekhélet (bleu biblique) couleur de la tradition philosophique hébraïque.

Des photographies : ouvertures inquiétantes sur les masses d’eau vides de vie mais « sensibles » et en vibration ; tableaux encadrés de noir dans un alignement en série sur fond blanc ; pseudo-peintures dont l’artiste véridique est la lumière avec son complice plongeur qui a osé s’immerger pour de vrai au-delà des monochromes des maitres. A terre et posé au mur les logements des habitants légitimes de la mer. Organismes constructeurs de pierres gigantesques et grises comme détritus de maisons bombardées et désormais vides. Lieux de passages fantomatiques. Mais comment une couleur peut-elle conduire du sensible à l’invisible ? C’est de cette tension que parle la Tekhélet devenue dans les textes hébreux la couleur de la traversée des apparences, de la mémoire et du divin. Comme si la nature offrait de la mer au bleu du saphir et du ciel, une continuité du sens et une perspective vers l’ultime, le lointain, une modalité sensible d’accès à l’infini.

Nicolas Floc’h appréhende la masse d’eau comme un espace pictural, sensible et immersif, réalisant des images visuellement abstraites mais fondamentalement concrètes, proposant les grands enjeux de notre société et les défis de sa survie. Avec ces doubles perspectives, Le FRAC Grand Large présente la première exposition de Nicolas Floc’h consacrée à « La couleur de l’eau ». Photographe de paysages sous-marins, il essaie de capturer la couleur de l’eau en baie de Somme mais aussi dans les océans, les mers, le long des fleuves et aider ainsi à étudier des écosystèmes menacés. Une recherche qui associe poétiquement science et art. Dans le passé l’artiste a consacré ses visions aussi aux architectures sous-marines crées par les épaves, les jetées, les passerelles et d’autres constructions en bord de mer qui se sont effondrés et qui ont construit les « Villes invisibles » aimées par Calvino et habitées par le plancton, couvertes d’organismes vivants, d’algues, de crustacés dans la profondeur interdite aux humains mais où la vie circule et impose ses lois aux autres animaux extraterrestres. Un exemple de recyclage naturel mais un témoignage de la bétonisation des fonds marins que l’artiste a montré de 2010 à 2015 à travers un travail photographique en plongeant parmi ces ruines interdites aux visiteurs romantiques et destinées aux récits d’aventure sous-marines et à ses monstres surgis de l’imagination des écrivains et poètes.

Dans ces vidéo L’artiste oppose le gris de ces restes à l’élément chromatique de la splendeur marine car la couleur est un emblème d’harmonie globale du vivant comme l’entendait Goethe dans son Traité des couleurs. Le médium photographique des prises de vue construites en variations des thèmes d’une silencieuse mélodie qui utilise les vibrations de la lumière en passant de la transparence de l’air à la solidité de l’eau. Mais l’artiste est un exemplaire de plasticien technologique qui cohabite, en hybride « marin », avec le monde scientifique et écologique. Pour se lancer à la conquête du mystère de l’eau et de sa forme en couleur il n’a pas besoin de devenir un être fantastique et produit par la meilleure cinématographie, il lui suffit la réalité de ce monde inconnu fait d’eau et qui pour nous assume la forme des couleurs qui se sont échappées des tableaux des artistes du monochrome pour devenir une abstraction poétique et symbolique du sensible comme explique le concept hébreu de la Tekhélet.

L’eau, on la voit, dans cette salle du FRAC, on la ressent sur nous jusqu’à son goût salé ou boueux ; chaude ou froide, terrifiante ou agréable come le liquide amniotique de notre passage du néant à la vie. Elément de recherche pour les scientifiques du monde entier, l’eau qui nous entoure et qui nous menace abonde de vie et de sens, c’est pour ça que l’artiste Nicolas Floc’h travaille de concert avec les biologistes et les spécialistes de l’univers marin et, pour saisir les variations chromatiques de l’eau il a apprêté un caisson étanche dans lequel se trouve un appareil photo automatisé, réglé pour se déclencher à intervalles réguliers. Au moyen d’un bout, et lesté, il descend dans la colonne d’eau, à la limite photique, celle jusqu’où la lumière pénètre : 100 mètres ou plus en mer, jusqu’au fond dans les fleuves et les rivières aux courants riches en sédiments, peu transparentes, parfois polluées aux couleurs organiques de la transformation ou de la décomposition. Car la vie en eau est ainsi, un territoire d’échanges, de mort et de vie cycliques, essentielle pour la survie des tous les organismes vivants et de la planète. L’exposition de Nicolas Floc’h au FRAC Grand large est la démonstration d’une recherche commune entre l’artiste et les chercheurs : à partir de projets de long cours, nourris d’expériences, de recherches scientifiques et de rencontres, naissent des œuvres ouvertes, ancrées dans le réel mais fluides d’un domaine à l’autre sans frontières encombrantes ou limites, désormais signifiants de notre société.