La mort-nourrice

Cette première rétrospective française présente plus de 125 peintures, aquarelles, dessins et documents de cette artiste finlandaise dont on avait déjà pu apprécier les autoportraits dans ce même musée, et ce dans le cadre de « Visions du Nord » en 1998.

Notre salut est la mort, pas celle-ci (Kafka)

Non, ce n’est pas ma mort, vous vous trompez, ce n’est pas ma mort que vous voyez dans la profondeur de mes prunelles. Bien sûr, mon visage se creuse, il devient émacié, peu à peu fantôme de lui-même. Mais ce n’est pas l’avance de la maladie, c’est ce combat entre ma vie et la mort que je vous montre.
C’est moi d’abord devant moi, face à face, qui me pénètre de moi jusqu’à pressentir au fond de mon regard l’essentiel de mon visage interne. Vous pensiez assister à ma décrépitude, à la déchéance progressive de ma chair, alors que ce mouvement, vers l’intérieur, renverse mon œil qui voit en oeil qui veille.

Mes pupilles se dilatent, je tapisse d’obscurité le dedans de mon crâne, je le scrute, et puis j’y porte l’inquisition de mes pinceaux, de mes fusains. Je me dévisage depuis mes cavités.
Mais ce que j’examine n’est pas le travail d’épure de ma propre mort : ce que je surprends c’est la mort même.
Vous croyiez vous pencher sur ma mort, mais c’est la mort, ma mort, oui, mais aussi la vôtre, qui vous observe, frontalement, jusqu’à ce que, comme elle, vous détourniez les yeux vers le vide, là-bas, en bas, en dessous des limites du tableau.

Quant à moi, je continue : la mort qui se cache, réfugiée dans le tain du miroir, je la débusque, et me voilà qui la contemple, qui finis par me mirer dans son reflet jusqu’à n’être plus que mon double inversé.
Et dans cette inversion, c’est la vie de mon œuvre qui absorbe l’œuvre de la mort, elle s’en imbibe, elle s’en imprègne. Mieux : elle l’adsorbe, elle fixe cette invisible, cet impalpable dans les fibres de ma toile.
La mort me nourrit, je n’ai plus besoin de la voir, je peux fermer les paupières, je la ressens qui palpite en moi comme ma substance, elle m’enfante et je la porte, nous nous irriguons, liées l’une à l’autre par-delà ma mort.