Le chorégraphe espagnol Marcos Morau collabore avec la troupe italienne Aterballetto pour un hommage à l’univers musical et cinématographique d’Ennio Morricone. Il revisite son répertoire emblématique présent dans toutes les mémoires sous le titre « La notte Morricone » présenté le 31 décembre au Théâtre d’Orléans. Mêlant la vie du compositeur, des déclarations reprises en voix off et des évocations musicales et dansées, le spectacle survolté met en scène la diversité de ses créations.
Du fait de l’hypothèse de la nuit qui gouverne l’ensemble du spectacle, des dispositifs lumineux mobiles au design seventies parcourent le plateau portés par les danseurs. Des néons au clignotement irrégulier complètent cette atmosphère plutôt sombre et contrastée.
Quand le rideau s’ouvre, le centre du plateau est occupé par une structure close faite de tableaux noirs, tous couverts d’inscription. Un ouvrier vient déposer en bord de scène un métronome qui va donner le rythme et lancer la musique.
Un peu plus tard l’abri central se sépare en deux pour laisser entrer diverses structures, sur roulettes, telles une table de montage sonore, un podium de chef d’orchestre ou des instruments de musique comme un piano à queue et même un tourne-disque accueillant un 33 tours écouté en chœur. Chacun devient le lieu d’une rencontre dansée collectivement autour d’un morceau ou d’un montage de pièces musicales assemblées en collage.
Les instruments de musique circulent y compris dans leur étui dont une trompette qui rappelle la vocation du père du compositeur, ils sont évoqués comme des armes, cette séquence précède l’entrée de plusieurs marionnettes. L’auteur en décrit ainsi l’utilisation : « Nous utilisons une marionnette avec un visage d’adulte et un corps d’enfant pour nous offrir des moments de mélancolie, c’est un être qui vient du monde des adultes mais qui a l’enthousiasme et l’innocence d’un enfant ».
Redoublant les danseurs, on peut les considérer comme autant de clones ou d’hétéronymes chorégraphiques sur le modèle Pessoa. D’ailleurs le compositeur est interprété par deux des danseurs habillés et coiffés pareillement. Les autres danseurs, tous vêtus des mêmes éléments androgynes, pantalon gris et chemise blanche, sont autant des facettes de la personnalité si diverse de Morricone, compositeur, musicien, producteur, arrangeur et chef d’orchestre.
Ayant créé plus de 500 musiques pour le cinéma, il poursuit dans la musique classique ou expérimentale et compose pour des chanteurs comme Rita Pavone, Paul Anka ou Mireille Mathieu. Cette même diversité existe chez les réalisateurs pour qui il écrit Bernardo Bertolucci, Pier Paolo Pasolini, Dario Argento, Marco Bellocchio ou Sergio Leone.
On qualifie la musique d’Ennio Morricone d’éclectique, nourrie de mysticisme et de sensibilité, on loue sa poésie, mais aussi sa nervosité, sa force et son lyrisme. Autant de qualités que l’on retrouve dans l’énergie de la danse. Les déplacements hyperdynamiques sont toujours collectifs, toute la pièce ne comporte qu’un duo qui se développe à partir du sol.
Beaucoup des mélodies hantant la mémoire collective, même si la bande-son est composée de collages, d’extraits parfois courts, l’hommage fonctionne, et l’on est ému d’entendre les membres de la troupe entonner a capella la célèbre chanson de Joan Baez Nicolas and Bart de l’hommage à Sacco et Vanzetti, d’autant qu’elle est devenue un hymne des luttes populaires.
Ces extraits musicaux même tronqués convoquent autant de souvenirs filmiques et l’on attend le moment où la scénographie va trouver une adaptation cinématographique. Les trois cloisons de la structure initiale sont réunies par la troupe pour former un écran panoramique dont la matière noire accueille les portraits des comédiens représentatifs des films les plus célèbres agrémentés des compositions de Morrricone. Leur version noir et blanc les projette dans un passé proche mais toujours actif dans la mémoire populaire.