La part des choses #3 / Still life

L’exposition qui se tient actuellement à Mains d’Œuvres (Saint-Ouen) est le troisième volet de « La part des choses », cycle itinérant de cinq expositions personnelles et collectives. Le propos central est de ce cycle est de rassembler des pratiques silencieuses dont le rapport au réel, hérité du ready-made, exclut toute forme de représentation.

L’espace d’exposition ressemble à un atelier abandonné, en désordre et dans lequel il faudrait s’aventurer avec précaution. Si beaucoup d’objets sont déjà tombés au sol, d’autres peuvent encore suivre. La vidéo de Fischli et Weiss, Le cours des choses, fait certainement partie des références communes aux commissaires et aux artistes, à l’instar de Vincent Ganivet, présent dans un précédent volet et qui avait déjà orchestré en 2004 à Mains d’œuvres la chute en dominos de quelques centaines de parpaings.

Cette impression d’être sur un chantier où l’assemblage de matériaux de construction n’aurait pour but que le spectacle de leur destruction est renforcé par la pièce de Matt Calderwood, Unfinished Structure. Alors que sa forme en équerre évoque une pièce de charpente, celle-ci ne s’appuie sur rien ni ne soutient rien. Sa dynamique oblique ne produit pas de force, elle semble scellée au sol, à moins qu’elle ne soit maintenue par ces deux bidons remplis d’eau, placés au-dessus.

Au mur, Sébastien Maloberti juxtapose à plat et en hauteur des matériaux inutilisables, abîmés. Sur la ligne droite formée par le côté par lequel ils sont suspendus, de fines équerres supportent des gobelets en plastique. À nouveau, la présence au-dessus de sa tête de liquides en équilibre rappelle le gag du seau d’eau sur la tranche d’une porte et c’est avec un peu d’appréhension qu’au détour d’un soutènement, on découvre un nouveau bidon rempli d’eau : c’est une « fontaine » de bureau et sa colonne de gobelets. Le réservoir est entouré de la ceinture de l’auteur, Navid Nuur. Par transparence, au sein du cercle formé par cette ceinture, on peut lire cette phrase sur un carnet ouvert face à soi : « LET US MEET INSIDE YOU ». Les pronoms personnels semblent désigner la personne de l’artiste et celle du spectateur, mais aussi l’objet personnifié par le truchement de cette ceinture. L’injonction renverrait alors à la rencontre impossible, burlesque, entre ces trois entités.

Dans la pièce d’Ariel Schlesinger, un cendrier semble délaissé sur le coin d’un support blanc dont la hauteur invite à s’y s’asseoir. Dans le cendrier, au milieu des cendres, une braise reste toujours ardente. Cette pièce, d’une esthétique de farce et attrapes d’un autre âge a pour titre Forever Young, titre en soi éculé (en particulier depuis le tube planétaire d’Alphaville ) et dont la valeur d’adjectif porte à associer cette cendre vive au danger d’être fumeur.

David Beattie, qui utilise souvent dans son travail la lumière artificielle, met à jour des procédés de reconstitution grossiers, des expérimentations de cuisine. Dans Remote Past / Future, une diode électroluminescente scintille sur une feuille d’aluminium froissée, à l’intérieur d’une cavité arrangée au sol à l’aide de deux planches. Comme dans la pièce d’Ariel Schlesinger, le titre inscrit la pièce dans un système atemporel. Sur le mur opposé, la pièce de Marc Geneix intitulée Finite Space indique une échelle spatiale. Une nouvelle feuille froissée en boule trône sur une sorte d’étagère blanche. Noircie à l’aide d’une mine graphite, cette feuille semble être restée figée à cet endroit, comme carbonisée.

Dans Les éléments d’air, installation tentaculaire d’Ingo Gerken, des bombes aérosol de peinture ont été posées sur des étagères métalliques au centre de la pièce. Selon leur position dans l’espace, ces bombes ont produit des disques de couleur plus ou moins larges et nets sur chacun des murs afférents. De la même manière mais suivant l’axe vertical, des sacs suspendus par des cordes ont déversé leurs contenus de ciment et de la farine en tas irréguliers sur le sol. Cette pièce d’Hervé Bréhier, métaphoriquement et concrètement, nous parle du temps d’après la chute. La pièce de Delphine Reist consiste en un rideau tendu contre la fenêtre, au long duquel coule un liquide huileux, depuis la tringle jusqu’à des bidons dont l’un porte le logo de « Shell ». Le liquide est pompé pour couler indéfiniment, suivant le principe de la fontaine.

Après celle de David Nuur, la liste non-exhaustive de Thomas Bernardet est la seconde œuvre où figure un écrit. C’est cette fois une sorte de liste de courses grossie à la loupe, qui rassemble en vrac des idées qu’on suppose associées au luxe et parmi lesquelles figure un objet d’art, un genre d’art. Cette liste ne compte que quatre lignes, quatre objets de désir lesquels sont nommés dans un langage dépréciatif parce que vague, grossier, sans article, dérisoire : « DIAMANT / BAGNOLE / PEINTURE / UNE MAISON A 100 000 EUROS ». L’objet de la liste manque, comme le résultat de l’addition.

Le document de médiation révèle sobrement les détails des pièces (noms des auteurs, titres, emplacements, matériaux, etc.) On y apprend la présence de fibre optique dans le cendrier d’Ariel Schlesinger, la provenance de la ceinture dans l’œuvre de Navid Nuur ou la teneur des différents contenus liquides de l’exposition : de l’alcool dans la pièce de Sebastien Maloberti ; de l’huile et du vin dans celle de Delphine Reist ; vingt-cinq litres d’eau dans celle de Matt Calderwood. Pour cette dernière pièce, l’information sur les quantités amène le spectateur à méditer sur la fonction du poids de l’eau dans l’équilibre de la pièce. Par ailleurs, la nature de ces liquides leur confère une charge symbolique qui paraît héritée de Josef Beuys et provoque des associations d’idées qui au milieu de cette sorte de chantier désordonné renvoient chacun au geste de construire lui-même le sens.