Trois expositions cet été à Tanlay permettent de choisir ou non d’ailleurs entre photographie, sculpture et peinture.
La peinture occupe les salles du centre d’art de l’Yonne, logées dans les communs du château de Tanlay, où comme tous les étés, les habitués des lieux mais aussi les passionnés d’exposition thématique ou monographique, axée sur un artiste, un médium ou plusieurs, se donnent rendez-vous. Cette année, ce sont huit peintres de la peinture dite abstraite des années 80-90 – mais surtout huit peintres reconnus dans l’utilisation d’un principe, d’un procédé… en tous les cas d’une modalité d’intervention choisie dès le départ et réitérée – qui dialoguent sur les cimaises. Bernard Piffaretti et sa bipartition de la surface rencontre avec bonheur son aîné Claude Viallat et chacun, de nous montrer comment ils continuent de se renouveler dans ce qui aurait pu les enfermer. Petits et grands formats pour le premier qui s’autorise dernièrement à laisser vierge la partie en voie de duplication de ce magnifique diptyque faussement inachevé, tandis que le second s’offre la fulgurance de la couleur dans des patchworks flamboyants de tissus aux matières et aux teintes proches de celles si festives du couturier arlésien Christian Lacroix. Après avoir découpé, organisé en aplat ses propres surfaces colorées, Janos Ber lui, balaie l’espace de ses splendides toiles de larges bandes aux verts acides ou aux rouges sang tel que certains avaient déjà pu le découvrir l’été dernier lors de l’art dans les chapelles. Déployant en diptyque parfois ce geste à la fois ample et précis, il dessine alors un espace en réserve dont les deux parties se nourrissent de manière encore plus aérienne. Parfois même, de légers chevauchements de rubans colorés octroient à la toile une profondeur que ne renierait pas Jean-Louis Gerbaud tant celui-ci , aussi présent l’été dernier en Bretagne, cherche dans une impossible disparition de la couleur, la présence minimale mais oh combien chargée de temps d’abrasion et de recommencement, cette autre image dont l’auteur du catalogue, Jean-Louis Poitevin nous signale « l’impossible courbure ». C’est en effet sur des panneaux de plexiglas que le peintre moire, ponce, polit, re-moire des petites surfaces de couleur dont à la fin, ne restent que d’infimes taches colorées jouant avec le mur d’accrochage, grâce à la transparence du support devenue elle-même « autre couleur ». Ainsi mesure t-on non sans bonheur des découvertes , comme aussi celle des toiles scotchées, incisées méticuleusement au cutter mais aussi « flambées » au solvant de Patrice Pantin, comme pour nous rappeler que les gestes les plus dangereux ou laborieux peuvent aussi être ceux qui en principe ne sont pas attendus d’un peintre, mais qui au bout du compte ajoutent à cette pratique peu orthodoxe et dont les mêmes peintres de la couleur ont toujours su tirer parti. Ainsi Hantai et ses célèbres pliages mais plus près de nous, Dominique Gauthier et ses spirales croisées, dont la ligne et ses épaisseurs irrégulières perdent le regard dans un ballet de cercles ou d’ellipses faussement concentriques dont une fois de plus la couleur sort victorieuse des principes. Dans cette exposition construite, où la logique et la justesse de l’accrochage laisse à chacun le silence de ces gestes dialoguer avec celui de son voisin, c’est en effet la couleur qui semble une fois de plus tirer son épingle du jeu, à l’image de ses coulures multicolores de Cédric Teisseire, laissant au temps le fait de se sédimenter en petites bordures sculpturales à la manière des broderies de certaines étoles. Merci alors au principe de n’être pas ici un procédé mais un juste geste de peindre autrement en inventant une histoire de dédoublement à la fois de la surface et du plan de profondeur.
La sculpture elle est présente à l’abbaye de Quincy, grâce aux dernières pièces de Denis Pondruel. Connu pour ses « secrètes » chambres « en creux », il présente ici un ensemble de machines ou d’installations où les vers tirés d’Irène et son con d’Aragon participent à l’appréhension sensible de formes de béton piquées de flèches ou de levier mécanique découvrant sous la légèreté d’une plaque de polystyrène, la poésie des mots de l’amour. Juste le regard reste t-il dans l’attente de l’apparition de l’écrit lorsque ce sont des fibres optiques qui génèrent le passage ou non des faisceaux lumineux. Ironie, poésie et matériaux parfois rustres pour un dialogue envisagé avec la majesté de ce lieu chargé et majestueux qu’est l’abbaye qui l’accueille.
La photographie elle prend sa place, pour la première fois à Tanlay, juste à côté de l’exposition de peinture, dans une autre salle des communs du Château, comme si ce lieu l’attendait. L’accrochage des photographies de Philippe Bazin s’y déploie comme un panoptique dévolu à sa dernière production. En effet, ce sont huit grandes photographies couleur issues d’une commande du conseil général de l’Yonne qui font circuler le regard à hauteur d’horizon. Dans une radicalité proche de ces premières séries de visages-faces en noir et blanc, le photographe se confronte ici à des palettes de couleur bleu, vert et ocre d’où s’échappe le simple documentaire sur une région où l’industrie agricole mite parfois les champs de blés…En effet, c’est à des espaces photographiques, et non à des images photographiques, que Philippe Bazin nous propose d’accrocher notre regard sensible. Et cela est d’autant plus vérifiable dans le catalogue édité à l’occasion où la froideur des tonalités des grands tirages retrouvent l’autre justesse de la lumière colorée du Tonnerrois.
La photographie « en principe » aurait alors pu se retrouver interrogée dans l’exposition qu’elle jouxte. Mais par un autre bonheur, on peut aller y voir séparément et rencontrer un regard qui sait comment abstraire du réel ce qui sera un geste de photographe.