Suzanne Lafont prouve encore une fois dans la galerie Erna Hecey de Luxembourg sa capacité à penser les différentes composantes de son oeuvre depuis les années 1990 en une nouvelle construction où la performance, le sens et les images entament un autre dialogue que l’artiste nous invite à déchiffrer. Le titre de cette exposition « How things think » éclaire moins cet arrangement disparate qu’il ne nous incite à expérimenter notre propre interprétation.
Après des études en littérature et philosophie, Suzanne Lafont entame une thèse, au début des années 1980, sous la direction de Jean-François Lyotard. En 1984, elle participe à la mission photographique de la DATAR (Délégation interministérielle à l’Aménagement du Territoire et à l’Attractivité Régionale) avec un travail sur un site industriel abandonné en Lorraine. Dès la fin des de cette décennie le corps fait son entrée dans son oeuvre avec des portraits singuliers en pied puis ceux plus serrés de la série Le bruit. Ces situations performées se retrouveront dans les séries L’Argent, La Chute, Les Souffleurs et Les Chœurs de grimaces où ses modèles sont des étudiants de l’Ecole Nationale de Photographie d’Arles . Elle travaille ensuite ses installations en séquences narratives au sens toujours ouvert comme Trauerspiel s’étageant sur divers panneaux publicitaires dans la ville de Kassel pour la Documenta en 1997. Situations en 2015 au Carré d’art de Nîmes est construite comme une séquence performative pour des figurants posant pour des portraits mis en scène et différentes situations urbaines. Elle s’ouvrait sur la pièce Index (1987-2015) une double projection organisée selon l’ordre alphabétique qui réunissait 464 images et textes.
C’est la même logique qui soutient l’actuel accrochage à la galerie luxembourgeoise. Ces objets du quotidien dont Suzanne Lafont tente de déterminer le mode de pensée ont rapport à des situations de conversation, diverses chaises et une chaise longue qui met dans l’Embarras le figurant qui tente de la maitriser . Réunis en tant qu’Accessoires de comptoir, d’autres objets ordinaires – gants de travail, boîtes de conserve, ustensiles de cuisine attendent qu’on les active.Cette situation théâtralisée s’accompagne d’une possible bande son évoquée par un diptyque d’un disque vinyle sur une platine tournante. Cela se concrétise d’abord dans les extraits de Situation Comedy tirée du Pamphlet des canadiens de General Idea Manipilating the Self Le sous titre évoque ces variations colorées de situation avec et sans la présence d’étudiants (ceux des Beaux Arts de Tours où la photographe enseigne) en cours de performance. En leur absence le nom seul indique le casting prévu pour cette interprétation dont la performance est contrariée, remise à plus tard. Les empêchements dans le quotidien joués ici par un protagoniste révèlent aussi ces séquences impossibles à chorégraphier.
Toujours préoccupé par la philosophie du langage qu’elle a développé sur le modèle d’un dictionnaire aléatoire dans son livre Appelé par son nom elle représente ici un diaporama numérique et sonore Sciences, fiction d’abord projeté en 2020, à l’exposition Narcisse ou la floraison des mondes au Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA,à Bordeaux. Les liens à la nature y servent de commentaire aux langages et à la pensée des objets , si la performance reste potentielle son sous- texte s’affirme toujours pour nous aider à surmonter les ellipses de la narration plastique proposée par l’auteure. Pour en faciliter encore la compréhension le petit catalogue réunissant des Sketches en constitue le versant théorique.