L’art vidéo suppose toujours une grande disponibilité de la part du spectateur et il nécessite une réelle curiosité pour voir les œuvres en dehors des festivals et de structures permanentes comme la section audiovisuelle du Centre Georges Pompidou. Si les figures majeures internationales sont bien repérées les jeunes créateurs manquent d’une visibilité critique. Là se trouve tout l’intérêt du livre de Mathilde Roman « Art vidéo et mise en scène de soi » qui fait le lien entre les figures tutélaires et la nouvelle génération où les femmes sont très présentes. Un DVD rassemble d’importants extraits des pièces commentées, faisant de l’ouvrage un véritable outil de connaissance.
Si cette idée de mise en scène de soi pouvait laisser craindre un narcissisme un peu gratuit dans une mise en abîme électronique de l’effet miroir comme nous en avons connu avec les manifestations photographiques dans l’esthétique du banal, le choix très cohérent des vidéastes dont de nombreux sont à découvrir échappe à cet écueil d’époque, dont l’auteure se débarrasse dès sa préface.
La première partie du livre se consacre à démonter les différentes images de soi dans leur perte comme dans leur confrontation aux autres images et au langage. Elle explore ensuite des expériences limites où se trouve questionnée l’unité corporelle de l’individu seul vis-à-vis de lui-même ou dans ses rapports à l’autre.
Si l’on ne peut que se louer d’une pensée critique qui se fonde sur l’analyse des œuvres et non sur un présupposé idéologique la méthode a parfois le défaut de laisser de côté certaines œuvres des auteurs cités qui ne cadrent pas tout à fait avec la démonstration. Par exemple il est très passionnant de découvrir la pièce « Rendez-vous » de 2004 de l’artiste polonais Artur Zmijewski, sur les dégâts physiques d’une maladie dégénérative, mais on peut regretter que soit omise une référence à une pièce antérieure, « Playing cats » de 2002, où des figurants jouent à chat dans la salle d’un crématoire, hymne à la vie où le rapport à l’enfance constitue un témoignage de 3ème génération sur les camps d’extermination.
Sinon les rapports explicités entre artistes de générations diverses sont aussi porteurs qu’éclairants pour les deux. Ainsi le rapport à l’autre et au réel dans sa dimension ironique permet de relire l’œuvre d’Urs Luthi et d’approcher l’univers tout aussi ludique et distancié de Pascal Lièvre. La première partie se termine sur la solitude du couple filmé par Bill Viola dans le « Surrender » (2001) de sa série « Passions ».
Dans la seconde partie « des soi en quête de nous » Mathilde Roman en s’appuyant sur les analyse d’Hannah Arendt commence par démontrer la crise d’une certaine forme d’art engagé, ce qui lui permet de nous faire découvrir la démarche de la croate Sanja Ivekovic et de nous amener à relire les œuvres d’Absalon. Un retour sur la part d’humour dans les auto-fictions nous fait retrouver d’autres propositions de Pascal Lièvre tout en nous permettant de repenser la démarche militante post-féministe d’Astrid S. Klein avec les mises en récit désopilantes de la canadienne Sylvie Laliberté, très à l’aise dans des formes courtes aussi proches que parodiques des clips musicaux.
L’énoncé de quelques uns de ces artistes, liste non limitative, loin s’en faut, et le rappel de leur nationalité prouve l’intérêt de cette étude dans sa portée internationale sans céder à ces effets mode de la surreprésentation de ces artistes qu’on ne voit que de biennales branchées en foires chics.
Beaucoup d’entre eux se trouvent impliqués dans une quête de soi que l’on a étudié dans les pays anglo-saxons sous le titre des « gender works » ou des « cultural studies ». On en trouve encore la marque avec le choix des artistes de la dernière partie. Ainsi énonce-t-elle le programme de Loïc Connanski : « le mot d’ordre est seulement de prendre acte de la valeur représentative de chacun, et d’être citoyen en assumant une fonction productrice d’images. » C’est ce que font là aussi dans une distanciation humoristique difficile sur les sujets de société abordés l’artiste israélien Ben Shitrit et l’iranienne Ghazel.
Cette précieuse étude nous permet de découvrir de singuliers parcours artistiques, de les mettre en perspective par rapport à des œuvres qui sont devenues au sein de cet art encore jeune des références incontournables et de mettre en place les conditions historiques d’une attitude artistique extrapolant une position individuelle dans une approche aussi légère que critique de l’extériorité, du politique au sens le plus noble.
8 Août 2008