Sarah Trouche fait partie de cette génération de femmes artistes qui a choisi la performance dans une mise en œuvre totale de son propre corps.
« Faccia a Faccia, venni, vidi, vissi » son actuel solo show à la galerie Vanessa Quang est un exemple d’exposition chorégraphiée dans une intense collaboration avec la critique Madeleine Filippi.
Formée à l’ENSBA de Paris elle a aussi suivi l’enseignement de Mike Kelley au Pasadena Art Center College of Design. Ce parcours lui permet d’avoir recours à différentes techniques qui toutes mettent en jeu ce que Horst Bredekamp avance quant au pouvoir des images en s’inspirant des actes de langage (speech acts), élaborés par John L. Austin et John R. Searle. Sous l’appellation d’acte d’image, l’historien d’art intègre les actes iconoclastes, le spectacle vivant et les images telles que photographie et vidéo.
Le geste iconoclaste est sans conteste incarné dans la série des autoportraits réalisés en savon, qui aurait la même densité que le corps, et que l’artiste détériore par un tir à la carabine. L’hommage à Nikki de Saint Phalle trouve ici une extension plus radicale. On peut en voir aussi la marque dans la mise en pièce du corps de l’artiste dans la dernière salle. Ces membres moulés sur le modèle sont prolongés par des éléments saillants, ils dialoguent avec les pièces sculptées de Prune Nourry, autre artiste féministe de la même génération. Mais cette installation, qui rejoint aussi la forme poétique du blason, perd de son caractère iconoclaste par la confrontation avec les dessins d’ombre dont le prototype est encore son propre corps.
Cette réparation symbolique est en effet à la base de l’ensemble de la démarche ici chorégraphiée comme une mise en scène de la résilience. La jeune femme avoue avoir voulu réagir à la violente agression dont elle a été l’objet lors d’un projet à l’étranger qui a failli lui couter la vie. On peut interpréter le traumatisme subi dans cette pièce sculptée qui ouvre l’accrochage. De loin elle évoque une tresse, mais dans une lecture plus proche elle apparaît comme une chaîne, elle se prolonge par des mains serrées en poings incandescents.
Le lien aux arts vivants se manifeste dans les performances où Sarah Trouche recherche dans différents territoires marqués par les évènements contemporains des collaborateurs de tous les jours qui lui racontent des histoires qu’elle interprète en autant de scénarios corporels. Dans l’exposition elles sont présentes par des relais vidéos ou des vidéogrammes. Leur aspect performatif est renforcé par la co-présence avec des palets odorants capables de susciter des remémorations évènementielles.
Toujours à la rencontre de l’autre, elle met en scène les angles morts oubliés de situations traumatisantes qu’elle a vécu dans son intimité ou par procuration. Cela se manifeste aussi dans ses hommages, ainsi ses dessins au sang se situent dans l’héritage de créateurs de l’art corporel comme Orlan ou Jan Fabre. Sarah Trouche se souvient que Boris Cyrulnik a fondé son concept sur la définition physique de la résilience comme propriété physique d’un matériau de retrouver sa forme après avoir été comprimé ou déformé. Dans la même logique neurobiologie parle de la plasticité du cerveau.
L’exposition propose en autant d’actes d’images de faire retour sur ces multiples tests du corps de l’artiste face à différents matériaux et situations, depuis la suspension nue du haut d’un pont jusqu’à ses performances où la nudité est corrigée par la couleur uniforme qui la masque. En empathie avec d’autres victimes féminines de situations géopolitiques, de l’héritage colonialiste ou du terrorisme ce parcours mémoriel nous fait évoluer du simple ressenti au futur d’un corps qui gère son passé pour mieux vivre au présent dans une visée utopique.