C’est dans un cadre malheureusement exigu – et pour cause puisque c’est celui de la bibliothèque de centre culturel suisse à Paris- que se tient à l’occasion du mois de la photo 06 et de sa thématique – La photographie et l’image imprimée- l’exposition fort à propos de la revue DU : « revue culturelle d’une suisse ouverte sur le monde », comme l’annoncent les deux commissaires, Irène Attinger et Michel Porchet.
Créée par Arnold Kübler dans une Suisse de l’après-guerre, à la fois soucieuse des conditions sociales ainsi que des mouvements de libération nationale (guerre de Corée….) la revue DU évita toutefois de devenir un organe de propagande, tout en privilégiant un engagement personnel de la part des photographes mandatés pour traiter tel sujet ou tel sujet (Werner Bischof, René Burri), ainsi qu’une ouverture éditoriale de la part de ses rédacteurs en chef successifs. Ceux-ci se donneront en effet pour objectif la diffusion de reportages photographiques mais aussi de peinture (Picasso) et même d’extraits d’oeuvres littéraires (un numéro spécial sera consacré à Claude Simon) ou consacreront un ou plusieurs numéros à un photographe tel Robert Frank ( numéros de janvier 1952 et de novembre 2002) ou René Burri et ses portraits de pays ou de villes ( Le Japon 1961, Bahia 1967, Chicago, 1972).
C’est donc grâce à un croisement original et toujours d’actualité, que DU se voulait et reste une fenêtre mensuelle de qualité (premiers numéros reproduisant en héliogravure les oeuvres retenues) sur le social et le culturel dans un croisement assumé du contenu et de la forme.
Contenu dont Werner Bischof, photographe suisse, membre de l’agence Magnum fut l’un des représentants les plus fidèles de 1946 (premier numéro de DU) à 1990 (dont la couverture du numéro de septembre est faite de collage de photos de Bischof par dessus un portrait de Bischof par Ernst Haas) en passant entre autres par son voyage en Europe de l’Est publié dans le numéro de juin 1949…
Mais si Kübler avait tendance à choisir ses reporters dans la vaine de la nouvelle objectivité allemande dont un des maîtres fut Hans Finsler – style photographique auquel on reprochera sa dimension abstractive et objectale au détriment d’une emprise humaine et sociale envers un monde déchiré et en voie de reconstruction – il n’est pas inintéressant de reconnaître dans les photographies d’Emil Schulthess une sensibilité à l’expression artistique dans sa très belle photographie de l’atelier Picasso, parue en héliographie couleur dans le numéro de septembre 1947, de son intérêt aussi pour Alexandre Calder et autres photographies aussi graphiques que plastiques, où publicité et urbanité se retrouvent sur la couverture et les photographies des numéros de mars et juillet1955 .
Mais ce seront aussi les reportages de Jakob Tuggener sur les travailleurs suisses pendant la guerre qui seront publiés dans une mise en page audacieuse privilégiant la forme du dépliant dans le numéro à la couverture au montage fragmentaire de janvier 1957 tout comme des photographies antérieures feront l’objet du numéro thématique sur le « palace hôtel » en 1968. Car une autre des caractéristiques de DU sera de ne pas coller systématiquement à l’actualité et de privilégier le reportage sur le photojournalisme évènementiel.
Ainsi la revue suisse s’est toujours octroyée la liberté, de publier à l’occasion d’un sujet plus général, des images faites quelques années auparavant mais contribuant à une lecture plus approfondie du thème envisagé ou de l’oeuvre du photographe, tel le portrait de Cuba auquel se consacrera René Burri de 1963 à 1993 et qui fera l’objet du numéro de décembre 1993.
Favorisant le choix esthétique et la pensée éthique, DU n’attendit pas les querelles autour de la photographie dite documentaire ou artistique pour évincer tel sujet ou privilégier telles stylistiques. Et si la maquette de la revue suivit les tendances de son temps, la venue de nouveaux photographes tels que Manuel Bauer qui est devenu le photographe officiel du Dalaï-Lama ou Thomas Flechtner dont les photographies métaphoriques de fleurs font l’objet du dernier numéro de l’été 2005, DU a su traverser les modes et les décennies de l’après-guerre à nos jours en restant à l’écoute de ce que la photographie imprimée peut donner à réfléchir dans une dimension qui doit plus à l’engagement personnel d’un homme qu’à la revendication utopique d’un message. Tel nous le prouve de manière exemplaire le numéro de février 2005 où Daniel Schwarz propose « un étrange projet artistique conceptuel et une odyssée personnelle, un des livres les plus important concernant la grande muraille de Chine » (M.Porchet).
Aussi curieux que cela puisse paraître en ces temps de foisonnement anarchique de publications où la photographie est partout, il ne se trouve pas en France de revue équivalente à DU, tant au point de vue esthétique et éthique que social et artistique. Aussi profitons de cette exposition pour la découvrir et peut-être la mettre en perspective avec tout ce qui pollue aujourd’hui les yeux des amoureux de l’image imprimée.