La revue annuelle TROU fondée à Moutier, Suisse, en 1979, publie son 18 ° numéro, elle poursuit son ouverture tous azimuts à la création plastique avec en couverture un portefolio de CharlElie Couture, le peintre Gian Pedretti y donne à voir ses cahiers d’esquisses inédits qui dialoguent avec les portraits peints et dessinés par l’américain Irving Petlin. Les architectes bâlois Herzog & de Meuron livrent les bases d’un de leur récent projet d’auditorium. La revue est constituée comme un espace de création que chaque intervenant, poète, plasticien, écrivain ou musicien s’approprie en accord avec l’équipe de rédaction.
Très à l’écoute de la diversité de la création dans ses différentes générations en Suisse, les responsables éditoriaux ont su convier au fil des numéros des créateurs aussi importants que Meret Oppenheim, Bram Van Velde, Pierre Alechinsky ou Rémy Zaug, des photographes comme Martine Franck ou Ferdinando Scianna ou, dans le domaine de l’écriture, Michel Butor ou Georges Haldas.
Gian Pedretti, né à Bâle en 1926, a d’abord expérimenté la sculpture avant de se consacrer à la peinture, on a pu apprécier en 2007 sa rétrospective au Centre Pasquart de Bienne , il nous donne ici les bonnes pages de son journal de travail, textes et esquisses dessinées.
Jacques Herzog et Pierre de Meuron, architectes bâlois ,sont connus pour la réalisation de la « Tate modern » à Londres et plus récemment ils ont produit aussi le « Bird’s Nest », stade national de Pékin pour les Olympiades 2008, ils nous proposent ici toutes les étapes de la conception du futur Auditorium du Jura, ensemble passionnant par la diversité des documents et la qualité de leur mise en page qui rend compte d’une pensée et d’un design architectural en progrès.
Irving Petlin est né en 1934 à Chicago, il vit à Paris et intervient en tant qu’artiste invité à la Pennsylvania Academy of Fine Art, le poète Rosemarie Waldrop, co-initiatrice des éditions « Burning Deck », introduit son portefolio de portraits en tant que « Miroir pour ce qui est sans image ». Elle évoque la séance de pause avec Edmond Jabès, quelques semaines avant sa mort comme fondatrice : « Petlin esquisse. Efface. Esquisse. Efface. A la fin de leur séance (Jabès a 78 ans, se sent fatigué), Petlin s’aperçoit qu’il n’a rien à montrer si ce n’est une surface couverte de traits de gomme. Illisible. Il a tout effacé.
Tu travailles donc comme moi, dit Edmond Jabès.
De retour à son atelier, Irving Petlin reconstitue le visage d’Edmond Jabès. Ce qui se dérobait au regard se donne à la mémoire. » Ce puissant portrait que Jabès ne verra jamais accompagne ceux de Claude Royet-Journoud, Meyer Schapiro, Dominique Fourcade, Edouard Glissant ou Jacques Roubaud.
En couverture et introduction de ce numéro CharlÉlie Couture développe sur une trentaine de pages, un portefolio, dessins et photographies, sur les « Artfloor de New York », tels qu’il en opère les « Reconstructions », occasion de revenir sur un parcours d’une réelle exigence, trop méconnu dans sa part plastique en France.
CharlÉlie, est né en 56 dans un environnement familial nancéen ; son père, de retour des camps de concentration en tant que déporté résistant, enseignant en art, s’affirme comme antiquaire, peintre et architecte, il lui fait pratiquer dessin et musique. La mère assure l’ascendant littéraire. Il mène un cycle complet d’études l’Ecole des Beaux-Arts de la Ville, il y pratique, comme c’était de mise à l’époque dans ces établissements généralistes, de nombreux mediums dont le super 8, période pendant laquelle il enregistre aussi son premier disque. Mais la France aime pouvoir savoir à qui elle a à faire, les doubles carrières y sont mal vues, l’identité comme la filiation doivent être simples à revendiquer et surtout à communiquer. Héritage pour héritage, il choisit de réunir symboliquement les prénoms de ses deux grands pères pour se donner un nom, les deux civilisations, judéo et chrétienne, y sont sous-jacentes, quant au patronyme familial qu’il conserve il annonce déjà sa capacité à mettre ensemble des éléments disparates. Il vient d’entrer dans l’ère des réparations.
Un premier long séjour, à la fin des années 80, l’emporte pour l’Australie où il développe et renouvelle sa pratique plastique. Avec textes , dessins et photos, il tente de nouer un dialogue plastique réparateur du sort des aborigènes. Un peu à la façon dont une chorégraphe comme Robin Orlyn travaille à réamender la mauvaise conscience des blancs d’Afrique du Sud, sa communauté.
A la fin des années 90 une très longue tournée organisée par les Centres Culturels Français du Ministère des Affaires Etrangères lui redonne un nouvel élan. Suite à quoi il décide en 2001 de partir vivre à New York pour que l’on regarde enfin son travail de plasticien sans y surimposer l’image du chanteur, pour tenter de réparer une culture des mots par une culture des actes de création. Il vit dans un des derniers quartiers industriels de New York, où l’on trouve de nombreuses fabriques de tissus, il se nourrit de son biotope et recycle papiers, cartons, tissus et palettes.
« Sur des surfaces de papiers collés, marouflés sur la toile de lin, je compose à partir de trois éléments que l’on retrouve sur chaque tableau. Il y a une fenêtre, un décor, des acteurs et personnages. »
Son site, ouvert dès 1993, lui permet de défendre et d’illustrer la multiplicité de ses pratiques. Son journal en ligne est nourri régulièrement et depuis plus d’un an il se donne un avatar, matérialisation plus actuelle d’un « Solo boy » qui lui permet une nouvelle liberté. Celui-ci croit que les gens le voient nu dans la cité, il en raconte les mésaventures en poète urbain de « Nu York » sur charlelie.com.
Son combat se revendique de plus en plus militant, ainsi ce même avatar dénonce une rencontre avec un institutionnel américain, travaillant à l’ONU, minimisant le réchauffement climatique.
Début 2002 la mort de son père se trouve concomittante de l’abandon du patronyme familial, la réparation se poursuit loin du territoire français, et Charlélie est devenu le nom d’un artiste plasticien, le petit milieu télévisuel de la variété franchouillarde lui fera payer l’affront en ignorant son dernier album, mais le public suit, et le milieu de l’art américain et européen ne s’y trompe pas. Il a travaillé depuis 1998 avec la galeriste Claire Gastaud de Clermont Ferrand et depuis quatre ans avec une autre excellente galerie, O quai des arts, à Vevey en Suisse. Elle lui consacra l’automne dernier une exposition prouvant l’intérêt de sa méthode de circulation des formes d’un médium à l’autre, ce qu’il expérimente avec brio dans la revue.