La dimension critique du réseau

Revue d’art depuis 2006

La vie de jardin

Dans le système des jardins ouvriers, devenus jardins familiaux, Anne Immelé a occupé pendant plusieurs années la parcelle 100. « Jardins du Riesthal », à l’image d’un journal de bord photographique, donne à voir la vie de ce lieu aux abords de Mulhouse.

Des poires, des pêches, des betteraves, des roses, des cabanons, une petite clôture, des chaises en plastiques, un banc en fer forgé, des oignons, des tomates, des clairières, des brouettes, des balançoires, des visages d’enfants, d’adolescents. On entre dans ce nouveau livre d’Anne Immelé, comme on pénétrerait sur une île, avec le sentiment du privilège et de la discrétion, dans un temps suspendu en milieu végétal.

Les photographies, format carré, grises, douces, peu contrastées, donnent à ce territoire son contour fugitif quelque part entre la notion d’hétérotopie développée par Michel Foucault, et la mélancolie de Barbara : « J’ai mis mon dos nu à l’écorce l’arbre m’a redonné des forces/Tout comme au temps de mon enfance. » Chacun sans doute y projettera aisément ses propres références, ses histoires, son sens du jardin. Le texte de Corinne Maury se détache de l’image du coin de paradis au profit de sa dimension politique, poïétique : « Le jardin familial requiert une attache, un façonnage et une élaboration continue, et, si la flânerie délassante y est possible, elle n’en constitue pas moins un état subsidiaire. »

Anne Immelé y interroge le temps qu’on passe, en famille, entre amis, dans ce jardin mulhousien, où les gestes, dans une perspective écologique, se perpétuent et se transmettent d’une génération à l’autre.

On entrevoit aisément le lien avec Oublie oublie, précédent ouvrage de la photographe, également publié chez Médiapop, en 2020, qui explorait un quartier populaire de Mulhouse, le Nouveau Drouot avant sa démolition. La force d’Anne Immelé c’est de toujours donner ce sentiment ténu d’intimité avec un écosystème, le regard est en lien sensible avec celles et ceux qui vivent là, avec la végétation comme le bâti, les objets, sans jamais perdre de vue leur puissance abstraite. La vie et la rigueur, l’expérience et sa représentation, réunies en quelques images qui ne résument pas un lieu, ne cherchent pas à l’objectiver mais au contraire à en rendent le battement, la vibration, l’intensité qui s’y jouent et emportent le regard.