Gilles Pourtier appartient à cette génération pour laquelle le mélange des registres high and low, des cultures savantes et populaires se constitue en évidence. Après un séjour d’un an en résidence dans l’espace 3bis f de l’hôpital psychiatrique Montperrin à Aix en Provence l’exposition qui conclut cette expérience se donne à découvrir comme « La grande surface de réparation ».
De la métaphore footbalistique ne retenons d’abordque les exigences d’une pratique collective où un des équipiers vient non pas demander mais apporter réparation au nom de son équipe.L’équipe ici se constitue autour de Marie-Louise Botella qui en complicité avec quelques soignants choisit et accueille des artistes au sein de l’institution, plasticiens et acteurs du spectacle vivant ou ceux qui naviguent entre deux comme les très passionnants « Gens d’Uterpan ».
Poursuivant notre interrogation métaphorique, de quel instance releverait donc la faute à réparer ? Dans nos sociétés la maladie mentale comme ses soins ne sont jamais vraiment banalisés. L’artiste plasticien comme autrefois le reporter, -Raymond Depardon du temps de « San Clemente » où il n’était pas encore un artiste officiel –peuvent intervenir en arbitre de ce qui se joue sur le terrain que notre bien-pensance n’appelle plus la folie.La question se posait pourtant clairement en ces termes du temps de Michel Foucault.
Gilles Pourtier sait bien que la partie se joue dorénavant en termes d’images sur le terrain de l’idéologie, son rôle est d’en montrer limites et règles. De sa culture populaire il réveille les épisodes d’un ancien feuilleton télévisé « Le Prisonnier » , un ballon grisé sur fond de ciel blanc légendé « Rover » en rappelle la zone dont on ne s’échappe pas. De la génération de ses parents dont la tendance punk criait « no future » il adapte une contre-proposition « no pasture » où le recours au passé serait la norme actuelle non avouée.
Un diptyque oppose les cartes pipées d’un test qui annonce les couleurs pour faire contraster l’inconscient tandis qu’une fleur fanée au pistil dressé interprète en sombre valeurs de gris le test de Rorschar réincarné. A la légèreté ton sur ton du ballon répondent le message à décoder par le patient des couleurs ordonnées.
Au bout du long couloir où subsistent de larges portes rappelant une carcéralité à vocation curative se trouve une grande salle où l’image d’un petit tapis rouge nous inquiète par sa simplicité picturale. L’opacité de la chose ne peut que cacher quelque énigme qui dévoilerait la complexité de l’être, rappelant le titre de cette exposition de Régis Durand « Rien que la chose exorbitée ». Dans la tension entre cette esthétique dépouillée et la fantasmatique philosophique que suggère le titre de l’exposition nous ne pouvons lire ce travail que comme post-lacanien.
D’ailleurs au centre des neufs portraits pixellisés des directeurs successifs de l’établissement n’est ce pas le sieur Clérambaut (Gaetan Gatien de) qui trône ?
Lui plus connu pour son érotique des voiles que comme professeur de Jacques Lacan. Les autres seraient tombés dans les oubliettes de l’Histoire de l’inconscient si leurs descendants administratifs n’avaient à chacun attribué la paternité d’un bâtiment de l’hôpital. Le photographe les recense dans le noir et gris moyen d’un format portrait. Les noms des Pères sont devenus – nom d’une pipe- les noms des pavillons – service service , aux bons soins.
Avec sa culture propre et dans une pratique d’une grande exigence que l’on pourrait qualifier de vision flottante Gilles Pourtier répond parfaitement aux exigences énoncées dans le programme du 3bisf par sa directrice « Nous inventons le quotidien grâce aux « arts de faire » (Michel de Certeau), ruses subtiles, tactiques de résistance par lesquelles nous détournons les objets et les codes, nous nous réapproprions l’espace et l’usage à notre façon ».