Laisser couler, laisser faire

Cédric Teisseire expose à la galerie RX un ensemble ouvert de ses œuvres et de ses différentes recherches. Son approche de la peinture se fait à partir d’une mise entre parenthèse de la position subjective de l’artiste et du geste, au profit d’une pratique basée sur le procédé, pratique qui donne lieu à l’émergence d’une complexité riche.

Coulures
Cédric Teisseire est connu pour ses tableaux composés de lignes colorées qui tombent en ligne droite et qui forment comme des rideaux improbables jetés sur la grande cuisine du visible dont on s’attend à découvrir en général sur un tableau tel ou tel aspect. D’une certaine manière, ces toiles nous laissent en effet à la porte du visible en nous barrant le regard et en décevant notre attente. Mais, dans le même temps, elles nous offrent une « image » particulière, celle de cette déception même. C’est sur elle que Cédric Teisseire construit son œuvre et ce n’était pas un pari facile. Car il prend à rebours nos attentes et nos certitudes et réussit à nous faire comprendre qu’elles valent sans doute quelque chose mais qu’elles sont en nous comme des obstacles à des plaisirs inédits.
Ainsi, c’est bien un rideau que forment ces coulures verticales, ce que les restes de coulures confirment qui forment comme une feuille fine et plate. Ce signe d’une imperfection est la confirmation du procédé, mais ce rideau est en lui-même une réalité particulière. Elle est absolument picturale et est en même temps d’un autre ordre. Ces coulures constituent en tant que telles, une sorte d’entre-deux monde purement fictif, celui-là même de la fiction qui nous hante en ce qu’elles ne relèvent ni de la peinture au sens habituel ni de la réalité au sens de ce qui serait hors du tableau.

Peau fiction
Il en va de même dans ses œuvres récentes qui sont des monochromes peuplés de petites excroissances qui forment comme des grains de peau soulevés par un frisson ou des petits tétons érectiles éveillés par un vent imperceptible.
Le procédé est autre. Il s’agit de laisser sécher la toile en la posant à l’envers. La peinture accumulée forme des petites stalactites qui une fois fixées et la toile relevées sont comme des extensions contrôlées d’une peau vive.
Ce qui se passe alors sur ces toiles est d’un autre ordre. La fiction cède le pas à la perception de ce phénomène à la fois si intime et si extérieur à nous, celui de la peau. En nous donnant à voir ces morceaux de peau, Cédric Teisseire nous invite à percevoir autrement ce que nous sommes et surtout il nous ouvre à cette idée incongrue et pourtant si juste de reconnaître en notre peau cette frontière à la fois absolue et fictive qui nous sépare de l’inconnu qui grouille en nous et de l’inconnu qui nous entoure. Dans un cas, nous réglons la chose en disant : « ceci est mon corps » et dans l’autre en disant : « ceci est le monde ».
En fait il n’y a pas de ceci hormis cette fiction réelle et rêvée, réellement rêvée et qui « est » la frontière, l’entre deux, la séparation et le lien. En effet, elle ne cesse de tendre vers le dehors et de parler la langue du dedans. Ainsi en évoquant la vibration d’un dedans inaccessible qui nous interdit l’accès au visible, Cédric Teisseire fait de la peau à la fois l’écran sur lequel échoue le regard et le sujet même de toute monstration. Il nous dit aussi que nous ne sommes que des souffles incertains enveloppés dans le grand rideau de couleur du temps qui suinte goutte à goutte de toute la peau du monde.