L’archéologie du signe, Henri Maccheroni

Avec l’archéologie du signe, la critique d’art est envisagée du même bord que la création, non pas en éludant cette nécessaire distance entre le regard et l’œuvre mais en se positionnant dans une recherche menée à plusieurs voix – artiste et philosophes – sur le signe.

En premier lieu, L’archéologie de signe est une série de peintures de l’artiste Henri Maccheroni, datée de 1976 : 21 toiles présentant des formes géométriques, cercle, croix, parallépipède aux surfaces pleines, tendues par des couleurs monochromes. Elle occasionna l’écriture de différents textes critiques par Michel Butor, Jean-François Lyotard, Raphaël Monticelli, Jean Petitot, Michel Vachey et Germain Roesz, textes réunis par ce dernier dans un ouvrage.

C’est à la recherche d’un lien, celui qui trame ensemble le signe et le réel puis le signe avec le voir pour enfin impliquer l’Autre avec soi, que nous conduit cet ouvrage. Ce lien, ou devrait-on dire plutôt ce nœud, aux multiples attaches serait possiblement pareille à une faille géologique qui prendrait naissance dans le poïen, à la genèse du signe, tout en se laissant deviner à sa surface, dans le voir.
Le signe est ce qui renvoie à un lieu autre. Le critique d’art, en se laissant glisser dans cette faille, passe d’une position de regardeur, à l’extérieur de l’œuvre, à celle d’un occupant d’une réalité passée, de ce qui a habité l’artiste.

Les différentes couleurs qui deviennent signes dans la série d’Henri Maccheroni s’énumèrent pour Jean Petitot comme un échantillonnage d’imprimés industriels : lin écru, jean, rouge, tenue léopard, argent métallisé, blanc, noir. La question du signe est dès lors celle d’une production artistique liée, voire installée, dans une production marchande (on évoquera à ce titre le signe minimaliste ou le signe pop). Déjà Duchamp, que l’intérêt de certains artistes américains – comme Robert Morris – avait replacé dans leur contemporanéité, en avait largement souligné la modification au niveau du visible. En instaurant le ready-made avait-il réduit à rien, à peu, à un infra-mince, le lien entre le signe et le réel. Encore eut-il fallu que le choix de ce signe, de ce ready-made apparaisse être le fruit d’un arbitraire totalement désengagé… (quoique… Séverine Gossart dans le catalogue de l’exposition Dada rapporte que le catalogue de la société J. L. Mott Iron Works propose un large choix d’équipement et de design sanitaire. Duchamp a donc choisi pour sa Fountain signée R. Mutt l’objet de son désir).

C’est d’une proximité étrange, voire obscène, entre le signe et le réel, entre l’œil et le signe, dont il relève ici. D’ailleurs, certains auteurs rappellent à la mémoire une œuvre d’Henri Maccheroni où 2000 photographies d’un sexe féminin sont livrées sans aucune distance à la lecture du spectateur – enfouissement, plongée dans le signe au même titre que la massification de la production engraine le corps. Raphaël Monticelli note : « Le problème central de l’Archéologie du signe n’est plus de savoir comment une trace peinte peut faire image, peut re-présenter, manifester la présence de ce qui n’est pas elle, mais comment elle s’intègre au système historico-social de production de sens. »

Dès lors, l’artiste distribue des bribes de réel qui ne sont ni vraiment réelles ni encore signes. Il doit composer des dispositifs de lecture – à l’intention du spectateur – qui mèneront celui-ci jusqu’aux strates supposées de la vie réelle. Il doit faire en sorte de disposer sur sa toile ces fragments de manière à ce que le signe s’oublie comme tel pour n’être que passage, de manière à ce qu’une figure se constitue. Ni forme, ni figuration, la figure est un accordement des éléments dans l’espace au gré de la conservation soit d’une sensation (Deleuze au sujet de la peinture de Bacon), soit d’une logique grammaticale (Jean-François Lyotard au sujet d’Henri Maccheroni, figure comprise comme le serait une figure de cartes à jouer).

Car comment, questionne Jean-François Lyotard, lorsque l’artiste arrache l’art à l’idée d’imitation de la nature, choisir dans une sélection de nuances et de gammes industrielles ? L’œuvre d’Henri Maccheroni pourrait apporter un élément de réponse : en réglant les formes plastiques au gré des axes sémantiques et syntaxiques d’un langage, en faisant ainsi surgir un monde depuis ce langage. « Et qu’en poussant sa plastique vers le langage, écrit-il, il ne vise pas la bavarde combinatoire dont la matrice est en puissance, mais le néant auquel une phrase, prise en elle-même, arrache, et grâce auquel elle propose, les mondes qu’elle présente un instant. »

Il en va ainsi de l’archéologie du signe, un lieu où gît la chose absente. C’est d’un art et d’une origine dont il retourne pour la critique. Le premier signe de l’Humain est sépulture. Le second est celui de l’art. « Chaque texte en suite qui se rapproche de l’œuvre peinte, écrit Germain Roesz, nous en éloigne. »